Approche historique
L’étude de la créativité est restée relativement sommaire jusque dans les années 1950. La nature collective de la création primitive, la conception mystique qui a longtemps entouré l’acte de création, la rareté du génie créatif ou la complexité de ce sujet n’ont probablement pas favorisé son examen scientifique. Dans l’approche mystique, l’inspiration est souvent associée à un état non rationnel d’euphorie quasi maniaque. Pourtant pour Aristote, déjà, l’inspiration prenait ses sources dans le for intérieur de l’individu et dans l’enchainement de ses associations mentales plus que dans des interventions divines.
A partir de la Renaissance, on assiste à un renouvellement de l’intérêt pour la création artistique, littéraire, philosophique et scientifique, qui correspond à un retour aux valeurs de la civilisation grecque. La créativité est de nouveau devenue un sujet de discussion. Le XVII° siècle voit apparaitre des débats philosophiques sur le génie, et en particulier sur les fondements du génie créatif. L’Anglais Duff, dès 1767, différencie le génie créatif du talent, ce dernier impliquant un niveau de performance supérieur mais ne nécessitant pas une pensée originale. Selon lui, le génie créatif résulte d’une capacité innée impliquant l’imagination associative qui permet de combiner des idées, le jugement et l’évaluation des idées produites, ainsi que les valeurs esthétiques qui guident la recherche d’idées. La pensée qui va alors progressivement émerger postule que la créativité serait une forme exceptionnelle de génie, différente du talent, et déterminée par des facteurs génétiques et des conditions environnementales particulières. Au cours du XIX° siècle, on voit de plus en plus d’auteurs soutenir l’idée d’un génie créatif reposant sur un niveau exceptionnel d’originalité qui, lui-même, dépend de la capacité à associer les idées. Le classicisme est battu en brèche, les romantiques et les impressionnistes font bonne impression et les scientifiques s’interrogent. On oppose alors les génies réformistes (Berlioz) aux virtuoses classiques (Paganini). Pour avancer une explication, Francis Galton va, à la fin du XIX° siècle, initier l’ère de l’étude empirique de la créativité, en expérimentant notamment l’introspection sur lui-même, notant toutes les pensées qui lui traversent l’esprit durant ses promenades dans Londres. Il avance alors que les capacités mentales, comme les caractéristiques physiques, sont d’origine génétique. Galton va également observer l’existence d’enchaînements d’impressions mentales. En définitive, la principale source d’idées nouvelles proviendrait des « objets mentaux » conservés dans la « cave de l’esprit », qui deviendraient actifs par association.
Du romantisme au pragmatisme
Le XX° siècle sera prolixe en la matière. Vers 1900, dans une série de travaux publiée sous le titre « Essai sur l’imagination créatrice », Théodule Ribot traite du rôle de l’intelligence, de l’émotion, et de l’inconscient dans la pensée créative, ainsi que de son développement et de ses différentes formes (littéraires, scientifiques, commerciales). Le Dr Catharine Cox publie en 1926 à l’Université de Stanford les résultats d’une étude génétique portant sur 300 individus célèbres pour leurs travaux créatifs. Elle montre que l’intelligence (le QI moyen de ces sujets est de 154), combinée à la motivation et à certains traits de caractère, joue un rôle important dans le niveau de créativité. De l’autre côté de l’Atlantique, le psychologue anglais Charles Spearman propose en 1931 dans un ouvrage consacré à l’esprit créatif de reconnaitre, à l’origine de la créativité, la capacité intellectuelle à former des corrélats entre idées différentes, à trouver en sorte des correspondances ou des similitudes, reprenant ainsi l’idée d’association avancée plus tôt par Galton. Puis la balle repart en Amérique avec le psychologue Joy Paul Guilford, qui effectue un pas majeur en faisant l’hypothèse que la créativité requière diverses capacités intellectuelles, comme la facilité à détecter les problèmes, les capacités d’analyse, d’évaluation et de synthèse, ainsi qu’une certaine flexibilité et fluidité de la pensée. Nous sommes en 1950. Dans un deuxième temps, il élabore une théorie factorielle de l’intelligence qui s’organise autour de cinq opérations individuelles (cognition, mémoire, pensée divergente, pensée convergente et évaluation) qui, appliquées à différents types d’informations (figuratives, symboliques, etc…) sont susceptibles de produire des résultats originaux et différents. Ce que l’on nomme la créativité semble s’appuyer sur ces différentes opérations mentales, et tout particulièrement sur la pensée divergente : la capacité à trouver un grand nombre d’idées à partir d’un stimulus unique.
Les chercheurs vont désormais s’appliquer à mettre au point tout une série de tests à cet égard, à l’instar de Guilford, encore lui, qui élabore en 1967 un modèle qui situe les opérations intellectuelles dans un processus de résolution de problèmes : les situations qui impliquent de résoudre les vrais problèmes font appel à l’ensemble des opérations intellectuelles, et donc la créativité. Il faut dire que la période – les années soixante – était particulièrement propice à l’expérimentation créative, nous le vérifierons tout au long de cet ouvrage. Il existait en outre nombre de problèmes à résoudre dans la civilisation occidentale de l’après guerre. De nombreux auteurs ont planché à cette époque sur le développement de la créativité, essayant de mettre au point des méthodes ou des programmes éducatifs destinés à la stimuler. Parmi les plus diffusés figurent la méthode du « creative problem solving » en 1962, ou encore le célèbre « brainstorming » d’Alex Osborn – un publicitaire – en 1964. Les chercheurs affiliés à l’IPAR (Institute of Personality Research and Assessment) examinent les traits de personnalité et la nature des motivations impliquées dans la créativité. Ils avancent que plusieurs traits reconnaissables sont liés à la créativité : la confiance en soi, l’indépendance de jugement, ou encore la prise de risques. Pour l’inventeur de la pyramide des besoins, Abraham Maslow, la créativité est un moyen de réaliser ses potentialités; elle implique certains traits comme l’acceptation de soi, le courage et la liberté d’esprit. Nous sommes en 1968, la symbolique est particulièrement forte. La « critique artiste » est en passe de prendre le pouvoir.
A suivre…
Extrait de « Parfois ça dégénère » par M. Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.
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