Culture & innovation

Mois : décembre 2020

Le processus de quête (part 2)

Les étapes du voyage

L’étude des mythes et des épopées héroïques, notamment tels qu’ils nous sont parvenus depuis l’Antiquité, a amené Joseph Campbell à découper le voyage du héros en différentes étapes essentielles.

Ces étapes sont essentielles car ce sont elles qui :

  • rendent compte de la progression du héros, comme autant de points de passage
  • permettent de situer temporairement le cadre du récit
  • déterminent l’entrée en scène de personnages importants dans l’accomplissement de la quête.

La dénomination des différentes étapes a déjà fait l’objet d’une adaptation sous forme d’aide à l’écriture par le scénariste américain Christian Vogler, dans son ouvrage « The Writer’s journey » (Voir fig.1). Le scénariste utilise alors ces étapes comme autant de guides structurels à l’établissement de son récit, romanesque ou cinématographique. La réputation à Hollywood issue des travaux sur les mythes initiés par Joseph Campbell a connu un très fort effet d’accélérateur après les témoignages de réalisateurs influents tels Steven Spielberg (« Les Aventuriers de l’Arche Perdue ») ou encore George Lucas (« Star Wars »), réalisateurs qui tous deux reconnurent avoir utilisé ces référents comme guide à l’écriture et la définition des personnages de leurs sagas respectives (et… multimillionnaires).

Nous ne détaillerons pas ici les fondements des différentes étapes : les ouvrages cités en référence se chargent d’une analyse précise et illustrée d’exemples dans le monde de la littérature ou du cinéma. Il nous a semblé par contre important d’en souligner les impacts majeurs, tant sur la personne du héros que sur le déroulement de sa quête :

  • Reculer pour mieux sauter
  • Découvrir un nouveau monde
  • Mesurer sa valeur dans ce nouvel univers
  • Préparer son retour
  • Délivrer message et expérience

Nous allons donc nous attacher à décrire pour chacune de ces étapes les phases essentielles, en respectant les travaux de Joseph Campbell, tout en ménageant des accès vers le monde du management, où les travaux de Peter Senge nous serviront de base pour établir un pont métaphorique entre le voyage du héros et le management de projet innovant.

Le voyage du héros, d’après « The Hero With A Thousand Faces » de Joseph Campbell

A suivre…

Le processus de quête (part 1)

L’épopée héroïque métaphore du management de projet innovant

Le voyage du héros

Chaque projet est un voyage. Les nouvelles technologies contribuant à considérablement minimiser les notions de distance, on peut parler d’un voyage intergalactique, ou mieux encore, d’un voyage imaginaire, virtuel… L’épopée, c’est le voyage du héros à travers sa quête. Ce voyage suit un cycle, que nous appellerons le processus de quête. L’idée qui sous-tend toute la narration épique, c’est la bascule entre deux mondes : le monde ordinaire et le monde extraordinaire. Au fil de son voyage, au gré des événements, des rencontres et des épreuves qui vont se présenter à lui, le héros va accomplir un cycle dont le point de départ et le point de retour sont le monde ordinaire.

Manager un projet innovant relève souvent du voyage dans l’inconnu. Un héros, ou plus à proprement parler, une équipe héroïque, va se lancer dans l’aventure suivant un processus de management (de quête) assez similaire au voyage du héros. On va en effet y retrouver la conquête d’un nouvel univers, la gestion des événements extérieurs, les rencontres, les épreuves à franchir… A partir de ce constat nous est venue l’envie d’approfondir cette métaphore, en proposant une grille de lecture du management de projet innovant à travers le processus de quête.

La structure du récit épique

L’épopée est le récit d’une rupture, d’une discontinuité. Soudain, l’existence du héros va basculer, les événements l’entraîner sur le chemin d’une quête qui engendrera des bouleversements dans sa vie, son environnement, ses attitudes, ses valeurs même. Les récits épiques sont de tradition ancienne, et sont la résultante de la description de l’interaction des hommes (et des dieux) avec leur environnement. Si la nature de l’échange entre individus est ponctuelle et matérialisée (a minima par un « dialogue »), la description de son environnement est volatil, multidimensionnel et « virtuel », c’est-à-dire qu’il fait appel à l’imagination de l’auditoire pour prendre corps. C’est de ce rapport entre le « réel » et le « virtuel » que naît la structure du récit. Ainsi le linguiste Jean-Paul Desgouttes décrit le récit comme « le paradoxe de la coexistence virtuelle du multiple spatial et de la linéarité irréversible du changement inhérent au sujet ».

Dans un récit, il n’y a pas d’histoire qui n’implique de profonds bouleversements. Les spécialistes de l’analyse de la narration tels Vladimir Propp (« Morphologie du conte ») ou Joseph Campbell (« The Masks of Gods») ont décrit ces changements comme le passage d’un seuil entraînant le héros de son monde ordinaire vers un univers extraordinaire, où les règles, les rapports entre individus et les facteurs de succès sont à reconsidérer totalement. Le héros, dans le récit mythologique, est l’élément central du récit, celui qui doit mener à bien une mission, divine ou personnelle. Il est pour cela aidé par des Alliés, déjà introduits dans ce monde nouveau et partageant toute ou partie de sa quête. Il va également être guidé par un Mentor, qui généralement a lui aussi vécu par le passé une aventure similaire, en quelque sorte un ancien héros devenu sage qui se met au service de nouveaux élus, tel Merlin au service du jeune Roi Arthur.

Le processus de quête

Le voyage du héros va se dérouler selon un cycle à la fin duquel l’élu vivra l’accomplissement de sa quête, qu’elle soit spirituelle, matérielle, sentimentale ou corporelle. Ce cycle est fait de franchissements d’étapes peuplées de rencontres et d’expériences qui vont amener le héros à s’enrichir psychologiquement, mais également à affronter les plus grands dangers, allant jusqu’à risquer sa vie dans son combat contre les « Forces Opposées ». Ce cycle a été décrit pour la première fois par Joseph Campbell (« The Hero With a Thousand Faces »), puis repris sous forme de guide de narration par Christopher Vogler (« The Writer’s Journey ») à l’usage des écrivains de fictions romanesques écrites ou audiovisuelles. Il n’est pas question ici bien entendu de détailler les éléments du cycle liés aux techniques d’écriture des scénaristes, mais plutôt d’utiliser le décryptage du récit d’aventure pour montrer sa pertinence dans le management de projet innovant.

La quête démarre véritablement lors du franchissement du premier seuil, celui qui va entraîner le héros de son univers quotidien vers un nouvel univers, un monde extraordinaire. Avant cela, il aura connu les signes avant coureurs de l’appel au voyage, par l’intermédiaire de messagers. Après une période de doute, le franchissement du premier seuil est un acte essentiel dans la vie du héros, un mouvement irréversible qui va le soumettre à l’épreuve de l’apprentissage de nouveaux codes et de nouvelles pratiques. Le héros perd ses repères et appuis habituels, restés dans le monde ordinaire, au profit de nouveaux repères, à identifier puis à conquérir, séduire et fidéliser. La mission du héros passe inévitablement par la domestication du monde extraordinaire. Il doit apprendre à comprendre ses règles, identifier ses leaders et appréhender les nouveaux dangers qu’il devra affronter pour conquérir l’objet de sa quête (que cet objet soit réel ou symbolique).

La progression du héros dans le monde extraordinaire va être peuplée de rencontres. Certains protagonistes vont le guider, l’entraîner (les mentors), d’autres vont le perturber ou entraver sa progression (les gardiens du seuil), d’autres enfin (les adversaires) vont le défier dans le cadre d’une lutte, souvent à mort. Le héros n’est pas un Dieu. Le héros est un personnage ordinaire, vivant une vie souvent ordinaire. Il n’est parfois pas particulièrement prédestiné à un comportement courageux ou « héroïque ». Ce sont les événements et les aléas des rencontres qui vont l’entraîner, à travers sa quête, à accomplir le « voyage du héros ». Lorsque l’on demandait à Joseph Campbell comment reconnaître un héros d’un mentor, par exemple, celui-ci avait l’habitude de répondre qu’il suffisait d’identifier le personnage qui apprenait le plus. Car le voyage du héros est aussi un long apprentissage, un voyage initiatique, dont le témoignage futur deviendra l’une des meilleures preuves de son accomplissement.

A suivre…

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