Les particularités du management culturel

Une caractéristique majeure du domaine des arts et de la culture consiste en la discontinuité de l’activité : il s’agit en permanence de mettre sur le marché des prototypes, ce qui implique de travailler par projet (un spectacle, un film, …). C’est ce que je qualifie de dictature du projet. Cette discontinuité du travail a des implications évidentes sur la gestion des ressources humaines, qui doivent être particulièrement flexibles. Outre le recours continuel à la flexibilité contractuelle (intermittents du spectacle ou indépendants) pour soutenir le travail d’un petit nombre d’employés permanents, elle suscite l’émergence de leaders aux compétences particulières, qui doivent souvent cumuler des fonctions artistiques et administratives à la tête de ces organisations à géométrie et effectif variables. Tout en manageant des équipes non liées par des liens hiérarchiques mais par l’attirance et l’appétence de la participation à un projet d’envergure, quelle qu’en soit la structure payeuse.

Une entreprise culturelle n’est finalement rien d’autre qu’une PME classique. Comme tout gérant de PME, un responsable d’entreprise culturelle doit gérer des employés (et les aléas dus aux augmentations ponctuelles du personnel), les salaires, les locaux, les aspects juridiques et sociaux auxquels toute société est confrontée. En cela les compétences et surtout la polyvalence d’un manager sont essentielles, les responsabilités en cause dépassant largement le cadre des fonctions de l’artiste. Toutefois, si les compétences organisationnelles sont nécessaires, n’oublions pas qu’elles sont différentes de celles que les managers exercent dans les autres secteurs d’activité. Le management culturel requiert des compétences spécifiques sur un certains nombres de caractéristiques plus ou moins spécifiques au secteur, que nous allons détailler ici.

Le questionnement de la logique de marché

Un grand nombre de filières culturelles – notamment celles relevant de l’ « artisanat » culturel – s’efforce encore de conserver une mission bien particulière, qui se veut être à la fois sociale et éducative. Ainsi, contrairement à la majorité des autres secteurs d’activités qui répondent avant tout à des exigences de profit, une bonne partie du secteur culturel ne travaille pas selon une logique marché mais a conservé une logique produit : il ne s’agit pas de satisfaire le public en lui donnant ce qu’il attend (orientation marché), mais de sensibiliser ce dernier, l’intéresser en lui donnant accès à des œuvres produites, reproduites, ou conservées (orientation produit). On ne cherche pas à répondre aux attentes du marché, mais à susciter l’intérêt de ce dernier pour une œuvre artistique originale. Ainsi, s’il est d’usage de considérer que le travail de tout responsable marketing est centré sur les besoins des consommateurs (considérations « marché »), la démarche adoptée dans le secteur culturel va à l’encontre des enseignements traditionnels : on n’élabore pas une offre pour répondre aux besoins ou aux désirs d’un segment de marché, mais on cherche à définir un segment de marché susceptible d’être intéressé par l’œuvre proposée, et le travail du marketing va alors consister à tenter d’élargir ce segment par le biais de stratégies diverses et variées. Dans la branche dite artisanale ou savante de la culture, c’est encore majoritairement de cette façon que pensent et fonctionnent les managers, faisant d’eux des « originaux », plus basés sur l’instinct et l’expérience que sur les connaissances et les compétences managériales.

Une certaine sensibilité artistique est indispensable pour réussir dans ces domaines. Les compétences managériales ne suffisent pas. En effet dans ces projets, la mission sociale et le message esthétique de l’entreprise artistique l’emporte, et le critère de satisfaction du marché entre moins en ligne de compte dans les processus de décision. Point de marketing amont donc : pas d’étude de marché préliminaire, pas de prime à l’habitude ni même à l’expérience, point de place pour les outils de planification et de mesure. Le manager se doit d’avoir une double étiquette (expert en management et expert en art), ou alors la direction doit être constituée de deux personnes ou deux blocs aux spécialités complémentaires, comme c’est souvent le cas aujourd’hui dans des entreprises culturelles institutionnelles où l’on distingue la direction artistique et la direction administrative et gestionnaire.

A contrario, dans la plupart des industries culturelles, règne désormais la logique de résultat et de retour sur investissement. La satisfaction du public est aujourd’hui un des axes essentiels suivi dans l’élaboration de l’offre de produits culturels de consommation. Dans ces secteurs dominés par des structures multinationales, les « majors », on pourrait désormais penser que les seules compétences recherchées chez les managers sont d’ordre administratives et gestionnaires, en plus bien sûr de l’efficacité marketing, chose essentielle pour rendre accessible les œuvres au plus grand nombre. Dans l’effectif d’un « major » du disque, par exemple, la direction artistique ne représente pas plus que 5% de l’effectif global de la multinationale.

A suivre…

Alvarado Marc : « Parfois ça dégénère », Bookelis / Stoymag, 2020.