Culture & innovation

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Management culturel : vers un changement de paradigme (Part 4)

Après le questionnement de la logique de marché, voici la seconde particularité du management culturel. Elle touche l’essence même de l’esprit humain, celui de l’interprétation unipersonnelle ou collective.

La dérive d’interprétation

Le concept de « mondes de l’art » de Howard Becker propose d’analyser les interactions à l’intérieur et entre les groupes d’artistes, les publics et les fonctions support (à savoir les managers, les producteurs, les techniciens, les journalistes, les diffuseurs) qui permettent collectivement à une forme d’art de naître et de prendre forme. Un monde se compose de l’ensemble des individus et des organisations dont l’activité est nécessaire pour produire les événements et les objets qui sont caractéristiques de ce monde. Pour Becker, toute forme d’art est une « action collective », une coopération entre de nombreux agents dans le cadre d’activités variées sans lesquelles des œuvres particulières ne pourraient voir le jour ou continuer d’exister. C’est un ensemble d’activités, précise-t-il,  « qu’il faut mener à bien avant qu’une œuvre d’art prenne son aspect définitif » et dont il est éventuellement possible de dresser la liste. Il y a dans le mot « activité » l’idée de travail, de vie, de mouvement, de vitalité, d’action, de dynamisme, d’énergie, et l’étude sociologique de l’art est une étude de cette action collective.

Quatre éléments sont centraux à la compréhension des mondes de l’art : les réseaux, les lieux, les conventions et les ressources. Becker décrit les réseaux selon deux critères : l’indication de la division du travail – qui est typiquement en œuvre dans la production d’une œuvre d’art – et la somme des acteurs sociaux interagissant au sein d’un monde et de la communauté qu’ils constituent. L’interdépendance entre les acteurs dans ce processus génère des équilibres de pouvoirs qui peuvent être mobilisés lorsque des conflits d’intérêt surgissent. Dans certains cas, lorsque les enjeux ne sont pas très élevés, les rapports de force peuvent être équilibrés, chaque partie risquant sa mise si les choses ne fonctionnent pas. Dans d’autres par contre, les enjeux sont lourds et les relations très déséquilibrées, ce qui fait qu’une des parties est en position bien plus forte pour mener la négociation. Becker ajoute que lorsque des groupes de professionnels spécialisés se chargent d’exercer les activités nécessaires à la production d’une œuvre d’art, leurs membres peuvent nourrir des préoccupations esthétiques, financières et professionnelles fort différentes de celles de l’artiste.

L’activité artistique s’inscrit dans un mouvement social global et les artistes évoluent dans des systèmes de valeurs qui excèdent la sphère artistique. En règle générale, la rupture avec les conventions – et avec toutes leurs manifestations dans les structures sociales et la production matérielle – accroit les difficultés de l’artiste et réduit la diffusion de ses œuvres. Mais en même temps, elle augmente sa liberté d’opter pour des solutions originales à l’écart des sentiers battus. Dès lors, nous dit Becker, nous pouvons envisager toute œuvre d’art comme le fruit d’un choix entre la facilité des conventions et la difficulté de l’anticonformisme, entre la réussite (potentielle) et l’obscurité. Les œuvres d’art ne représentent pas la production d’auteurs isolés, d’ « artistes » qui possèdent un don exceptionnel. Elles constituent plutôt la production commune de toutes les personnes qui coopèrent suivant les conventions caractéristiques d’un monde de l’art afin de donner naissance à des œuvres de cette nature. La Nouvelle Vague cinématographique en France à l’orée des années 1960 n’a par exemple existé que grâce à la présence de nouveaux producteurs indépendants intrigués par ce mouvement, qui allait par ses innovations révolutionner le septième art.

Des groupes restreints, souvent spécialisés, se forment au sein d’un monde de l’art considéré dans son ensemble, où chaque œuvre d’art donne le jour à un sous-monde unique sous certains rapports, qui allie beaucoup de données conventionnelles à quelques éléments novateurs. Il est possible sous certaines conditions que des artistes exploitent progressivement leurs propres innovations, et élaborent ainsi une série de conventions particulières à leur travail. Mais plus souvent, les artistes collaborent à des innovations au sein de groupes, et les écoles ou les chapelles artistiques qui se forment se chargent d’élaborer les conventions qui leur sont propres. Ceux qui coopèrent avec l’artiste, à commencer par le public, font l’apprentissage de ces conventions plus singulières et originales au contact d’œuvres isolées ou d’un ensemble d’œuvres. L’artiste peut avoir appris ces conventions de manière empirique, en réalisant une œuvre ou un ensemble d’œuvres conformes, ou bien les avoir lui-même élaborées au cours d’expériences non encore dévoilées au public.

Les pratiques créatives peuvent être très diverses. Elles peuvent impliquer dans certaines situations la transgression des modèles passés, et dans d’autres, leur conservation fidèle. Elles peuvent être accélérées, ou freinées voire interdites par la modification des relations dans et autour des moyens de transmission. Elles peuvent être considérées très différemment par les individus impliqués, dans un champ complexe de valeurs sociales. Le compositeur et producteur Brian Eno déclare que l’innovation représente « une part bien moins importante » de l’activité artistique « qu’on l’imagine habituellement », et propose de lui substituer le concept de « remixage », plus approprié à l’ère postmoderne. L’artiste contemporain, suggère-t-il, « perpétue un vaste corpus de présuppositions culturelles et stylistiques, il réévalue et réintroduit certaines idées qui n’ont plus cours. L’innovation en tant que telle ne survient qu’en second lieu ». C’est l’apparition de nouvelles pratiques sociales, qui deviennent des comportements moyens acceptés et attendus. Parallèlement, d’autres normes vont disparaitre ou être reléguées au second plan. En même temps, le processus d’innovation dans les arts a un fort lien à la banalité : l’envie de créer pour la société quelque chose de neuf peut être banale, et les moyens employés pour le faire durant le processus d’innovation peuvent l’être tout autant. Une aventure innovatrice comporte sa part de basses besognes et de routines. Le terme « innovation » dans les arts soulève d’ailleurs un certain nombre de questions. Certains moments historiques, certains lieux dans l’espace social, ou bien certaines transformations technologiques, sont-ils en soi  des innovations ? Comment et par qui l’innovation est-elle reconnue, légitimée et récompensée ? Quels genres de luttes se manifestent pour affirmer ces reconnaissances, et quels intérêts politiques servent elles ? Et que reste-t-il in fine de l’innovation initiale de l’artiste après toutes les réinterprétations successives. C’est ce que j’appelle la dérive d’interprétation.

La rencontre entre cultures différentes (artistique, technique, commerciale, managériale) peut conduire à des transformations indépendantes de la pratique artistique. Selon Becker, comme ils relèvent à la fois de la création et de la réflexion, de l’innovation et de la routine répétitive, les choix décisifs sont des moments où l’artiste se trouve placé devant un dilemme singulier : pour produire des œuvres d’art remarquables qui potentiellement intéresseront le public, il doit désapprendre une partie des conventions qu’il a assimilées.

A suivre…

Alvarado Marc : « Parfois ça dégénère », Bookelis / Stoymag, 2020.

Becker Howard : « Les mondes de l’art », Flammarion, 1982.

Management culturel : vers un changement de paradigme (Part 3)

Les particularités du management culturel

Une caractéristique majeure du domaine des arts et de la culture consiste en la discontinuité de l’activité : il s’agit en permanence de mettre sur le marché des prototypes, ce qui implique de travailler par projet (un spectacle, un film, …). C’est ce que je qualifie de dictature du projet. Cette discontinuité du travail a des implications évidentes sur la gestion des ressources humaines, qui doivent être particulièrement flexibles. Outre le recours continuel à la flexibilité contractuelle (intermittents du spectacle ou indépendants) pour soutenir le travail d’un petit nombre d’employés permanents, elle suscite l’émergence de leaders aux compétences particulières, qui doivent souvent cumuler des fonctions artistiques et administratives à la tête de ces organisations à géométrie et effectif variables. Tout en manageant des équipes non liées par des liens hiérarchiques mais par l’attirance et l’appétence de la participation à un projet d’envergure, quelle qu’en soit la structure payeuse.

Une entreprise culturelle n’est finalement rien d’autre qu’une PME classique. Comme tout gérant de PME, un responsable d’entreprise culturelle doit gérer des employés (et les aléas dus aux augmentations ponctuelles du personnel), les salaires, les locaux, les aspects juridiques et sociaux auxquels toute société est confrontée. En cela les compétences et surtout la polyvalence d’un manager sont essentielles, les responsabilités en cause dépassant largement le cadre des fonctions de l’artiste. Toutefois, si les compétences organisationnelles sont nécessaires, n’oublions pas qu’elles sont différentes de celles que les managers exercent dans les autres secteurs d’activité. Le management culturel requiert des compétences spécifiques sur un certains nombres de caractéristiques plus ou moins spécifiques au secteur, que nous allons détailler ici.

Le questionnement de la logique de marché

Un grand nombre de filières culturelles – notamment celles relevant de l’ « artisanat » culturel – s’efforce encore de conserver une mission bien particulière, qui se veut être à la fois sociale et éducative. Ainsi, contrairement à la majorité des autres secteurs d’activités qui répondent avant tout à des exigences de profit, une bonne partie du secteur culturel ne travaille pas selon une logique marché mais a conservé une logique produit : il ne s’agit pas de satisfaire le public en lui donnant ce qu’il attend (orientation marché), mais de sensibiliser ce dernier, l’intéresser en lui donnant accès à des œuvres produites, reproduites, ou conservées (orientation produit). On ne cherche pas à répondre aux attentes du marché, mais à susciter l’intérêt de ce dernier pour une œuvre artistique originale. Ainsi, s’il est d’usage de considérer que le travail de tout responsable marketing est centré sur les besoins des consommateurs (considérations « marché »), la démarche adoptée dans le secteur culturel va à l’encontre des enseignements traditionnels : on n’élabore pas une offre pour répondre aux besoins ou aux désirs d’un segment de marché, mais on cherche à définir un segment de marché susceptible d’être intéressé par l’œuvre proposée, et le travail du marketing va alors consister à tenter d’élargir ce segment par le biais de stratégies diverses et variées. Dans la branche dite artisanale ou savante de la culture, c’est encore majoritairement de cette façon que pensent et fonctionnent les managers, faisant d’eux des « originaux », plus basés sur l’instinct et l’expérience que sur les connaissances et les compétences managériales.

Une certaine sensibilité artistique est indispensable pour réussir dans ces domaines. Les compétences managériales ne suffisent pas. En effet dans ces projets, la mission sociale et le message esthétique de l’entreprise artistique l’emporte, et le critère de satisfaction du marché entre moins en ligne de compte dans les processus de décision. Point de marketing amont donc : pas d’étude de marché préliminaire, pas de prime à l’habitude ni même à l’expérience, point de place pour les outils de planification et de mesure. Le manager se doit d’avoir une double étiquette (expert en management et expert en art), ou alors la direction doit être constituée de deux personnes ou deux blocs aux spécialités complémentaires, comme c’est souvent le cas aujourd’hui dans des entreprises culturelles institutionnelles où l’on distingue la direction artistique et la direction administrative et gestionnaire.

A contrario, dans la plupart des industries culturelles, règne désormais la logique de résultat et de retour sur investissement. La satisfaction du public est aujourd’hui un des axes essentiels suivi dans l’élaboration de l’offre de produits culturels de consommation. Dans ces secteurs dominés par des structures multinationales, les « majors », on pourrait désormais penser que les seules compétences recherchées chez les managers sont d’ordre administratives et gestionnaires, en plus bien sûr de l’efficacité marketing, chose essentielle pour rendre accessible les œuvres au plus grand nombre. Dans l’effectif d’un « major » du disque, par exemple, la direction artistique ne représente pas plus que 5% de l’effectif global de la multinationale.

A suivre…

Alvarado Marc : « Parfois ça dégénère », Bookelis / Stoymag, 2020.

Diffuser l’innovation (Part 2)

La diffusion par interrelations

Mais la diffusion n’est pas que verticale, de haut en bas ou de bas en haut. Elle peut tout aussi bien être horizontale. Elle se propage alors au sein de groupes de personnes qui ont des interactions, se côtoient, ont des intérêts communs, appartiennent à un même réseau, que Clyde Mitchell  qualifie comme un « ensemble particulier d’interrelations au sein d’un groupe limité de personnes, avec la propriété supplémentaire que les caractéristiques de ces interrelations, considérées comme une totalité, peuvent être utilisées pour interpréter le comportement social des personnes impliquées ». Un tel phénomène d’interrelations générateur d’innovations a pu être observé, au début des années soixante, entre le milieu littéraire issu du mouvement Beat et les milieux musicaux contestataires folk ou hippie. A cette même époque, un groupe issu des milieux existentialistes littéraires allemands avait influencé la transformation des Beatles en une entité musicale originale.

L’adoption par le système

Everett Rogers s’est également intéressé à la relation entre les individus et le système dont l’individu est membre. La similitude et la disparité des acteurs confrontés à l’innovation sont des facteurs essentiels dans son adoption et son acceptation. Il en conclut qu’ « une innovation est une idée, une pratique ou un objet qui est perçu comme nouveau par un individu ou un collectif d’adoption », où le mode de diffusion a pour mission de véhiculer cette nouveauté. C’est aussi une forme spéciale de communication. Cette communication est un processus à double direction engendrant un degré d’incertitude qui impacte la forme de la diffusion produisant un manque de prédictibilité : il n’existe pas de choix basé sur des alternatives connues. L’adoption de l’innovation, pour être massive, nécessite alors de relier des mondes sociaux éloignés, entre des individus précoces et faciles à convaincre (aventuriers, visionnaires) et des individus pragmatiques, réfractaires à la prise de risque, qui souhaitent des références clairement établies. Le temps nécessaire à la diffusion des innovations sera plus ou moins long en fonction de certains facteurs endogènes (résultant des caractéristiques intrinsèques des innovations) et exogènes (résultant de l’environnement dans lequel les innovations sont introduites).

Mesurer l’innovation?

Pour Rogers, une mesure objective de la pertinence de la nouveauté réside dans le laps de temps qui s’écoule entre la première utilisation – la découverte – et l’adoption réelle. La  diffusion de l’innovation sera plus ou moins rapide et étendue en fonction de son avantage relatif par rapport à l’idée qui est remplacée, de la cohérence de la nouvelle idée avec les valeurs existantes, des expériences passées et des besoins des potentiels adoptants. Les conditions dans lesquelles l’innovation est perçue – à savoir l’évaluation qui est faite du niveau de difficulté à la comprendre et à l’utiliser – vont également jouer un rôle essentiel à son adoption, de même que la possibilité de la tester avant une utilisation définitive et la diffusion de retours d’expériences par d’autres utilisateurs.

Extrait de « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Ed. Bookelis, 2020

Diffuser l’innovation (Part 1)

Les étapes de la diffusion

La diffusion est le fait culturel par excellence : elle permet de comprendre comment les cultures singulières évoluent au contact des autres. Le sociologue Everett Rodgers a étudié dès les années soixante les chemins de la diffusion de l’innovation. Selon lui, elle est abordée comme un phénomène individuel de masse dont l’avantage relatif est perçu dans un système de valeurs donné. Le chemin de la diffusion emprunte trois étapes successives. La première est une phase de communication : la mise à la connaissance des individus de l’existence d’une nouveauté. Elle concerne aussi les modalités de son usage et les principes fondamentaux de son fonctionnement. Puis survient une phase de persuasion : c’est la stimulation de la part de l’entourage, l’introduction de la nouveauté dans le système social, puis sa légitimisation. Détecter des « agents passeurs » et comprendre leur rôle dans la diffusion d’une innovation s’avère alors très utile. Enfin arrive le moment de la décision d’adopter soi-même la nouveauté. Cette décision est individuelle, mais elle va s’inscrire dans un mouvement collectif culturellement et socialement reconnu.

Les champs culturels

Une première forme d’adoption des innovations suit un paradigme dit hiérarchique, la diffusion s’opérant  à partir d’un centre vers des périphéries. Le plus souvent, le sens de la diffusion reproduit la stratification sociale, et la conforte, via l’ostentation et la distinction par l’adoption de nouveautés ou de goûts esthétiques volontairement différents, qui peuvent constituer un temps une protection. Selon Pierre Bourdieu, la consommation artistique et la construction sociale du goût sont dépendantes du niveau d’instruction et de l’origine sociale. A la classe sociale bourgeoise le « goût de la liberté », exprimé à travers des « dispositions esthétiques ». C’est elle qui va définir les canons de l’appréciation pour assurer sa suprématie. A la classe populaire le « goût de la nécessité », qui exprime une préférence de la praticité à l’esthétique. Entre les deux, la petite bourgeoisie aspire à la distinction mais ne possède pas le capital culturel nécessaire pour la réaliser. Elle va dès lors fonctionner par imitation inachevée, envieuse, en mode dégradé.

La « street credibility »

Ce paradigme n’est cependant pas unilatéral. On peut parfois assister à un phénomène inverse, dit de « bottom-up », phénomène assez répandu ces dernières années dans la mode ou la musique (culture de la rue, des déshérités, des banlieues,…). Howard Becker décrit un tel phénomène quand il évoque les modes de diffusion du jazz, issu des clubs miteux des quartiers pauvres à majorité noire, pour finalement conquérir le public aisé blanc lorsqu’il se déporte de Harlem vers Broadway. Le mouvement punk peut également être considéré comme un courant issu de la rue des quartiers populaires, mais le haut lieu de rassemblement à ses débuts fut le quartier chic de Chelsea à Londres (même si le bout de King’s Road où se trouvaient les boutiques punk, nommé World’s End, était plutôt délabré).  A cet égard, le film « Rude Boy » montre, autour des musiciens du groupe The Clash, la dichotomie entre les lieux de résidence des musiciens (banlieue sinistre du Nord de Londres) et les clubs où ils se produisent (SoHo, Oxford Street, Leicester Square) en centre-ville. 

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.

Définir l’innovation (Part 5)

Nous terminons notre analyse du processus d’innovation par une approche centrée sur les acteurs et leur interrelations au sein du système : luttes de pouvoir et compromissions.

Les acteurs et le système

La sociologie des organisations va également nous apporter quelques précisions quant à la position des acteurs face au système. Pour Crozier et Friedberg, « ce qui est incertitude du point de vue des problèmes est pouvoir du point de vue des acteurs : les rapports des acteurs, individuels ou collectifs, entre eux et au problème qui les concerne, s’inscrivent donc dans un champ inégalitaire, structuré par des relations de pouvoir et de dépendance ». Ainsi, aucun des acteurs ne peut se prétendre totalement libre : il sera toujours, à un moment ou un autre, « récupéré » par le système officiel. Mais le système lui-même, selon les auteurs, est tout autant influencé, et même corrompu par les pressions et manipulations des acteurs. Le pouvoir d’un individu, ou d’un groupe, bref d’un acteur social, est fonction de l’ampleur de la zone d’incertitude que l’imprévisibilité de son propre comportement lui permet de contrôler face à ses partenaires. « Mais pas n’importe quelle zone d’incertitude, précisent Crozier et Friedberg : encore faut-il que celle-ci soit pertinente par rapport au problème à traiter et par rapport aux intérêts des partis en présence, que ce soit en somme une zone d’incertitude dont l’existence et la maîtrise conditionnent la capacité d’action des uns et des autres ».

Une négociation permanente

Les auteurs distinguent alors quatre grandes sources de pouvoir correspondant aux différents types de sources d’incertitudes particulièrement pertinentes pour une organisation : celles découlant de la maîtrise d’une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle ;  celles qui sont liées aux relations entre une organisation et son ou ses environnement(s) ; celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations ; celles enfin qui découlent de l’existence de règles organisationnelles générales. Ainsi, le pouvoir que pourra exercer un acteur à l’intérieur du système sera proportionnel à sa maîtrise d’une ou plusieurs de ces grandes sources. De surcroit, chacun d’entre eux dispose d’une marge de manœuvre, comme le soulignent les auteurs : « Une situation organisationnelle donnée ne contraint jamais totalement un acteur. Celui-ci garde toujours une marge de liberté et de négociation. Grâce à cette marge de liberté (qui signifie source d’incertitude pour ses partenaires comme pour l’organisation dans son ensemble), chaque acteur dispose ainsi de pouvoir sur les autres acteurs ». L’acteur va tenter à tout instant de mettre à profit sa marge de liberté pour négocier sa « participation », en s’efforçant de « manipuler » ses partenaires et l’organisation dans son ensemble de telle sorte que cette « participation » soit « payante » pour lui. Cette vision met en exergue, dans un contexte de conflit latent et de lutte de pouvoir, la capacité de l’incertitude à créer une marge de manœuvre pour certains acteurs, ce qui n’est pas dénué de sens dans l’analyse des rapports entre les artistes et l’industrie culturelle.

Extrait et références issus de l’ouvrage « Parfois ça dégénère » de Marc Alvarado, paru aux éditions Bookelis / Storymag en septembre 2020.

Définir l’innovation (Part 4)

Dans ce nouvel épisode, nous allons parler du « Nouvel Esprit du Capitalisme », tel que décrit par Eve Chiapello et Luc Boltanski dans leur ouvrage éponyme.

L’importance de la médiation

On retrouve certains éléments clés de la TAR dans « Le Nouvel Esprit du Capitalisme ». Ses deux auteurs s’appuient sur l’analyse de l’évolution des pratiques managériales pour aborder la nouvelle ère de l’activité marchande qu’ils qualifient de « cité par projets ». Selon leur analyse, celle-ci « prend appui sur l’activité de médiateur mise en œuvre dans la formation des réseaux, de façon à la doter d’une valeur propre, indépendamment des buts recherchés ou des propriétés substantielles des entités entre lesquelles la médiation s’effectue ». Les auteurs établissent un rapprochement entre cette « cité par projets »  et une approche plus artistique de la production qu’ils nomment « cité inspirée ». Ils en concluent que « la cité par projets a en commun avec la cité inspirée l’importance accordée à la créativité et à l’innovation. De même, ces deux cités mettent l’accent sur la singularité des êtres et des choses dont la différence même fait la valeur ». Pour les différencier, les auteurs font appel à une vision romantique de la créativité artistique lorsqu’ils écrivent que « dans la cité inspirée les personnes sont créatives quand elles sont séparées des autres, retirées en quelque sorte en elles-mêmes, dans leur intériorité, seul lieu authentique d’où elles peuvent entrer en relation directe avec une source d’inspiration transcendante (le surnaturel) ou enfouie dans les profondeurs (l’inconscient) ». Alors qu’au contraire, dans la cité par projets, « la créativité est une fonction du nombre et de la qualité des liens ». A l’intérieur de ce réseau, ils définissent l’innovation comme un processus de « recombinaison » plutôt qu’une invention ex-nihilo car, la charge de l’innovation étant répartie entre des acteurs différents, « il serait malséant, dans le cadre de cette cité, de chercher à trop préciser la responsabilité spécifique de chacun dans le processus d’innovation ou, pire, de revendiquer une originalité radicale et d’accuser les autres de plagiat ». En réalité, il semblerait que le modèle de « cité par projet » soit désormais bien plus proche des pratiques en vigueur dans l’industrie culturelle que le modèle de « cité inspirée », car ce dernier tel que décrit par les auteurs reste imprégné de la figure du génie créatif, où l’individuel l’emporte sur le collectif.

Attachement et récupération

Lorsque Boltanski et Chiapello abordent la transition entre ce qu’ils nomment la « critique sociale » – liée à une demande collective de sécurité –  et la « critique artiste » – liée à une demande individuelle d’autonomie -, ils situent la bascule au milieu des années 1970. Selon eux,  « c’est en s’opposant au capitalisme social planifié et encadré par l’Etat – traité comme obsolète, étriqué et contraignant – et en s’adossant à la critique artiste (autonomie et créativité) que le nouvel esprit du capitalisme prend progressivement forme à l’issue de la crise des années 60 – 70 et entreprend de revaloriser le capitalisme ». Cette transition, qui entraînera le triomphe du modèle libéral, verra également le formatage de l’industrie musicale et l’éradication de l’esprit de révolte par la récupération, entrainant le triomphe de l’ère MTV après les années 1980. Ce mouvement va donner naissance à ce que Michel Callon nomme un « dispositif d’attachement », où le marché va sournoisement convaincre le consommateur par des méthodes narratives appropriées que non seulement le produit ou service répond à ses besoins, mais qu’il a été co-construit avec lui, créant ainsi un phénomène d’addiction qui exacerbe la starisation aussi bien des artistes que des marques commerciales. « Les attachements réussis, affirme Callon, impliquent d’une manière ou d’une autre conversation, co-production des biens et addiction ». La finalité ? Amener le destinataire d’un bien à s’y attacher à tel point qu’il accepte de payer pour l’acquérir ou le renouveler. « On ne comprendrait pas comment ce défi est relevé si l’on ne prenait pas en compte le monde des passions », conclut Callon.

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.

Définir l’innovation (Part 2)

Innovation et créativité

L’innovation apparait dans le contexte du processus créatif, qui se met en place dans un environnement permettant de rester réceptif aux stimuli extérieurs pour créer une sorte de caisse de résonance dans laquelle l’éclosion des idées nouvelles sera favorisée. Ce processus créatif d’innovation s’étend généralement sur une période assez longue, dans laquelle les acteurs doivent apprendre à gérer les doutes pour acquérir de l’endurance et attendre le moment déclencheur, celui qui permettra de saisir une opportunité qui engendrera le signal de départ. Le contexte de la mise en œuvre de ce processus est souvent primordial : que ce soit dans un laboratoire, un incubateur ou un studio d’enregistrement, chaque espace de travail engendre ses propres cérémonials et rituels. Le processus créatif de rupture nécessite certaines conditions de mise en œuvre. Tout d’abord, un certain degré de compréhension du sujet et de ses déclinaisons, ce que l’on pourrait traduire par la connaissance de l’état de l’art, car c’est souvent contre l’ordre établi que se positionne l’innovation. Le second pré-requis peut être une connaissance des méthodes et des techniques en vigueur dans la sphère de pratique. Le processus pourra alors laisser le pouvoir à l’imagination, par la création d’images, l’utilisation de symboles ou de métaphores, de manière à créer un nouveau terrain de jeu.

Le processus d’innovation a souvent été décrit a posteriori car il est la résultante parfois heureuse ou inattendue du processus créatif. Il suit une progression temporelle dont la trajectoire est segmentée en moments-clés qui se succèdent. Le processus d’innovation est fait d’interdépendances et sa gestation est souvent sociale : il subit invariablement des influences, des contraintes et des partis-pris entraînant des réflexes de mimétisme. Il est également perpétuellement soumis à la négociation, car le processus d’innovation est un processus collectif. Une seule personne peut promouvoir une idée, mais elle va rapidement s’entourer de quelques individus partageant les mêmes convictions et les mêmes aspirations. L’innovation engage et concerne de facto une multitude d’acteurs : une nouveauté doit être adoptée en dehors du groupe qui l’a échafaudée pour être qualifiée d’innovation. Tout au long du processus, les acteurs jouant un rôle majeur peuvent être amenés à changer.

Le processus d’innovation

L’innovation est un processus vertueux. Quand il a cours, une dynamique positive s’enclenche, un enthousiasme particulier nait qui conduit à l’adaptation d’une nouveauté en des usages originaux. Il se produit alors une rencontre fructueuse entre un ensemble social et une entité innovante. Le processus d’innovation n’est donc pas automatique ni mécanique, mais procède plutôt d’un ajustement voire d’une alchimie particulière. C’est un processus contingent, souvent imprévisible, et qui n’est pas exempt de surprises, générant des découvertes par sérendipité, ce phénomène générateur d’innovation due au hasard. Le processus d’innovation se retrouve alors pris dans des interactions, qui vont contribuer à remettre en cause des positions acquises, des rentes de monopoles, des prérogatives ou des intérêts. Il est traversé d’oppositions, de débats contradictoires, et il génère des conflits. Puis, à un moment, l’innovation se stabilise dans son contenu et dans ses usages. Certains critères vont contribuer à délimiter le périmètre des innovations, notamment lorsque l’idée doit donner lieu à la production d’un prototype, d’un artéfact ou d’un dispositif après une plus ou moins longue série de transformations. Cette phase se matérialise par la mise sur le marché d’un produit ou d’un service, avec l’intégration de la nouveauté dans la production. Le succès commercial pourra alors légitimer l’emploi du qualificatif « innovant », renforçant les liens entre l’innovation et le marché. Pour le sociologue Michel Callon, « l’innovation est indissociable de l’activité marchande, puisque celle-ci consiste en l’instauration de transactions bilatérales et que toute transaction réussie suppose sa singularisation, c’est-à-dire une qualification spécifique, aussi ténue soit-elle, du bien vendu et acheté ».

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.

La créativité (Part 5)

La créativité artistique

Dans le domaine artistique, le processus de découverte du problème est décrit comme un effort interne pour clore une discussion, exprimer ses émotions ou extérioriser un état intérieur, à l’inverse du domaine scientifique, où la formulation du problème a plutôt été définie comme la découverte de failles ou de contradictions dans les connaissances acquises. Le sous-processus de recherche du problème semble donc sensiblement différent en fonction de la nature du travail. Le célèbre écrivain Arthur Koestler s’empare du problème en 1964. Il avance, dans son ouvrage « The act of creation » (« Le cri d’Archimède » dans sa traduction française), que la structure fondamentale qui unit la création scientifique et la création artistique se trouve dans « l’acte bisociatif », un des processus créatifs clés, sous forme d’une rupture novatrice qui relie des systèmes de référence jusqu’alors séparés. Cette rupture active généralement plusieurs modèles mentaux basés sur la comparaison (métaphores, analogies, paraboles, jeux de rôles, allégories, etc…) qui peuvent être considérés comme autant de cas de « bisociation ». Pour lui, l’essence de la créativité réside dans « la perception d’une situation ou d’une idée à travers deux cadres de référence, chacun étant cohérent, mais les deux étant mutuellement incompatibles ».  Ces cadres de référence  se caractérisent par un certain nombre de routines, de règles, d’une forme de logique et d’un « code de conduite » qui déterminent les comportements et les anticipations des individus. Koestler affirme ainsi que tous les individus ont la capacité de mener des activités créatives, mais qu’ils en sont généralement freinés par les routines automatiques de pensée et de comportement qui dominent leur vie à l’intérieur de cadres de référence donnés.

Pour autant, la créativité ne se résume pas au seul moment d’intersection de deux cadres de référence. Il s’agit, une fois la « bisociation » réalisée, de progressivement écrire les nouvelles règles du jeu du nouvel espace de référence obtenu. Ces nouvelles règles, code de conduite du nouveau cadre de référence, ne correspondent en aucun cas à un simple mélange des règles et codes des deux cadres de référence initiaux. Ils sont à construire pour développer pleinement l’idée créative, dont l’évaluation se fera désormais sur la base de ces nouveaux critères. Le processus s’achève par une phase de décision dans laquelle la production créative s’inscrit dans un environnement social. En se basant sur les résultats de la vérification et de la communication d’une réponse, une personne peut décider d’arrêter, soit parce que le résultat est pleinement satisfaisant, soit au contraire, à cause d’un échec, ou bien encore revenir sur une ou plusieurs des phases du processus pour un travail plus approfondi. Dans le champ artistique, contrairement à la conception proposée par Wallas, le processus créatif se décrit plutôt comme un mélange dynamique de divers types de pensées qui surviennent de façon récursive tout au long du travail. Il peut ainsi évoluer d’un moment à un autre et d’un individu à un autre, mais dans un contexte particulier où l’activité créatrice est avant tout celle d’un individu isolé. Ghiselin va par exemple décrire le processus d’écriture comme débutant par un « incident » intéressant ou incitatif, suivi d’une « navigation » entre différents « domaines de connaissance » utiles à la construction d’une histoire. Les études du processus créatif artistique par l’introspection, les interviews, les observations et l’examen des esquisses et du résultat final montrent qu’il englobe une série de courtes interactions très rapides entre des modes de pensée productifs et critiques, et des actions planifiées et compensatoires. On a un bon aperçu de ce mode de fonctionnement de la pensée créative dans le film d’Henri-George Clouzot, « Le Mystère Picasso », où il filme le peintre Pablo Picasso durant l’intégralité du processus de création d’une œuvre.

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », par Marc Alvarado, Ed Bookelis, 2020.

La créativité (Part 4)

Les étapes du processus créatif

Le mathématicien français Henri Poincaré, dans son ouvrage « Science et méthode » paru en 1908, est sans doute le premier à tenter de décrire le processus créatif, en s’attachant au « processus d’invention en mathématiques ». Celui-ci, pour l’auteur, s’effectue selon trois étapes. Il semble débuter par un travail conscient sur un problème, puis cette étape est suivie d’un travail inconscient qui, s’il réussit, aboutit à une « illumination subite ». Une dernière phase de travail conscient vient ensuite pour mettre en œuvre les résultats de cette illumination, en déduire les conséquences immédiates, les ordonner, rédiger les démonstrations, puis les vérifier. Poincaré est un des premiers chercheurs à mettre en avant le rôle de l’inconscient dans le processus créatif.

Sur cette base, le sociologue britannique Graham Wallas propose un modèle de processus créatif en quatre étapes : une préparation mentale (recherche d’informations), une phase d’incubation, une phase d’illumination, quand l’idée créative parvient à la conscience, et enfin une phase de vérification pour tester l’idée une fois élaborée. Wallas indique qu’au cours du processus de résolution créative du problème, on peut revenir aux premières phases. Si une idée montre des imperfections au moment de la vérification, une autre idée pourra émerger pour résoudre cette difficulté. De même, certaines étapes peuvent se chevaucher. La découverte du problème à résoudre nécessite de reconnaitre son existence, en cherchant des failles, des inconsistances, ou des imperfections par rapport à l’état actuel des connaissances dans la discipline concernée. David Sapp va même évoquer la possibilité d’un « moment de frustration créative » entre l’incubation et l’illumination : une personne peut se trouver bloquée ou ne pas réussir à trouver une idée créative au cours de la phase d’incubation. Elle peut alors soit poursuivre, au risque de retomber dans les mêmes impasses, et accepter une solution peu satisfaisante, soit aller plus loin, explorer d’autres possibilités, s’engager dans une nouvelle direction, soit encore reconsidérer le problème.

Ce sont les travaux déjà évoqués de Guildford, à partir des années cinquante, qui offrirent de nouvelles perspectives de réflexion sur le processus créatif (tout en popularisant le terme « creativity »), en centrant la recherche sur les processus clés qui sont mis en œuvre dans la réflexion créative, soit chronologiquement la définition et la redéfinition du problème, la pensée divergente, la synthèse, la réorganisation, l’analyse et l’évaluation. Guildford précise que de cette phase d’évaluation, conformément aux résultats obtenus, pourrait émerger une nouvelle phase de réflexion (via l’obtention de nouvelles informations), qui sera suivie d’une autre étape de production, puis d’une phase d’évaluation, le cycle se poursuivant jusqu’à ce que le travail soit réalisé. Ainsi, selon ce modèle, il existe une progression d’une étape à une autre, ainsi qu’une flexibilité dans l’ordre des différentes phases et une possibilité de revenir plusieurs fois sur telle ou telle étape.

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », par Marc Alvarado, Ed Bookelis, 2020.

La créativité (Part 3)

La créativité artistique

Selon les résultats d’une étude menée par l’écrivain et chercheur américain Brewster Ghiselin autour du processus créatif de personnages célèbres, il existe deux formes qualitativement différentes de productions créatives : d’une part la créativité « secondaire », qui ne fait qu’étendre un ou des concepts connus dans un nouveau domaine d’application et, d’autre part, la créativité « primaire », qui provoque un changement fondamental dans notre perception de la réalité. On peut alors proposer une typologie des différentes contributions créatives, selon qu’elles acceptent le paradigme actuel du champ, le rejettent, ou synthétisent plusieurs paradigmes provenant de champs différents. Selon Teresa Amabile, trois composantes sont nécessaires à la créativité : la motivation, les capacités dans le domaine et les processus liés à la créativité. La motivation va englober les raisons intrinsèques et extrinsèques pour lesquelles l’individu s’engage dans une tâche, et l’aptitude d’une personne vis-à-vis de la tâche à accomplir. Les capacités dans un domaine font référence à la connaissance, aux capacités techniques, et aux talents particuliers dans un domaine précis. Enfin, les processus liés à la créativité incluent un système cognitif qui permet d’affronter plus facilement la complexité et l’interruption de la réflexion pendant la résolution d’un problème, l’utilisation de méthodes pour produire de nouvelles idées et un style de travail caractérisé en partie par la persévérance et l’attention soutenue pour une tâche. Dès lors, les ressources nécessaires à la créativité sont des aspects spécifiques d’intelligence, de connaissance, de styles cognitifs, de personnalité, de motivation et de contexte environnemental, qui peuvent fournir des stimulations physiques ou sociales pour aider à la production d’idées et pour faire aboutir ces idées. Certaines de ces composantes peuvent avoir des seuils (comme par exemple la connaissance) au-dessous desquels la créativité est impossible. De plus, il peut y avoir une compensation partielle entre composantes : une composante forte (comme la motivation) peut contrebalancer la faiblesse d’une autre composante (comme la connaissance). Enfin, une composante agit toujours en présence d’autres composantes et cette coaction peut avoir des effets interactifs. Par exemple des niveaux élevés d’intelligence et de motivation peuvent avoir un effet multiplicateur sur la créativité.

Révéler son potentiel

Ainsi, les potentiels de créativité d’un individu dans divers champs d’activité résultent de la combinaison interactive des différents facteurs évoqués plus haut, rapportés aux caractéristiques nécessaires pour un travail créatif dans chacun de ces champs d’activité. Ces dispositions exceptionnelles vont être mises en évidence dans des productions réalisées par certaines individualités ou certains groupes. La créativité de ces productions est alors évaluée dans un contexte social donné. Les connaissances d’un individu, ses buts et son état affectif (joie ou frustration par exemple) se développent au fil du temps et interagissent pour modifier la façon dont il réagit aux aspects inattendus d’une tâche, et le guider vers des productions créatives. Ces aspects inattendus autant qu’expérimentaux auront une part importante à jouer dans la révolution musicale des années soixante et soixante-dix, dans les contextes croisés de la révolution des mœurs et de la consolidation de l’industrie musicale.

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère » par M. Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.

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