Les étapes de la diffusion

La diffusion est le fait culturel par excellence : elle permet de comprendre comment les cultures singulières évoluent au contact des autres. Le sociologue Everett Rodgers a étudié dès les années soixante les chemins de la diffusion de l’innovation. Selon lui, elle est abordée comme un phénomène individuel de masse dont l’avantage relatif est perçu dans un système de valeurs donné. Le chemin de la diffusion emprunte trois étapes successives. La première est une phase de communication : la mise à la connaissance des individus de l’existence d’une nouveauté. Elle concerne aussi les modalités de son usage et les principes fondamentaux de son fonctionnement. Puis survient une phase de persuasion : c’est la stimulation de la part de l’entourage, l’introduction de la nouveauté dans le système social, puis sa légitimisation. Détecter des « agents passeurs » et comprendre leur rôle dans la diffusion d’une innovation s’avère alors très utile. Enfin arrive le moment de la décision d’adopter soi-même la nouveauté. Cette décision est individuelle, mais elle va s’inscrire dans un mouvement collectif culturellement et socialement reconnu.

Les champs culturels

Une première forme d’adoption des innovations suit un paradigme dit hiérarchique, la diffusion s’opérant  à partir d’un centre vers des périphéries. Le plus souvent, le sens de la diffusion reproduit la stratification sociale, et la conforte, via l’ostentation et la distinction par l’adoption de nouveautés ou de goûts esthétiques volontairement différents, qui peuvent constituer un temps une protection. Selon Pierre Bourdieu, la consommation artistique et la construction sociale du goût sont dépendantes du niveau d’instruction et de l’origine sociale. A la classe sociale bourgeoise le « goût de la liberté », exprimé à travers des « dispositions esthétiques ». C’est elle qui va définir les canons de l’appréciation pour assurer sa suprématie. A la classe populaire le « goût de la nécessité », qui exprime une préférence de la praticité à l’esthétique. Entre les deux, la petite bourgeoisie aspire à la distinction mais ne possède pas le capital culturel nécessaire pour la réaliser. Elle va dès lors fonctionner par imitation inachevée, envieuse, en mode dégradé.

La « street credibility »

Ce paradigme n’est cependant pas unilatéral. On peut parfois assister à un phénomène inverse, dit de « bottom-up », phénomène assez répandu ces dernières années dans la mode ou la musique (culture de la rue, des déshérités, des banlieues,…). Howard Becker décrit un tel phénomène quand il évoque les modes de diffusion du jazz, issu des clubs miteux des quartiers pauvres à majorité noire, pour finalement conquérir le public aisé blanc lorsqu’il se déporte de Harlem vers Broadway. Le mouvement punk peut également être considéré comme un courant issu de la rue des quartiers populaires, mais le haut lieu de rassemblement à ses débuts fut le quartier chic de Chelsea à Londres (même si le bout de King’s Road où se trouvaient les boutiques punk, nommé World’s End, était plutôt délabré).  A cet égard, le film « Rude Boy » montre, autour des musiciens du groupe The Clash, la dichotomie entre les lieux de résidence des musiciens (banlieue sinistre du Nord de Londres) et les clubs où ils se produisent (SoHo, Oxford Street, Leicester Square) en centre-ville. 

A suivre…

Extrait de « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Ed. Bookelis, 2020.