Reculer pour mieux sauter

Il n’est pas étonnant que la première réaction décrite après la réception de l’ « Appel de l’aventure » soit celle du refus du changement. Effectuer un saut dans l’inconnu n’a jamais été une sinécure, seuls les héros aguerris (ceux qui en sont à leur énième épopée) sont de ceux qui franchissent sans réticences le seuil du monde extraordinaire. Dans le premier opus des aventures d’Indiana Jones, « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », l’auteur prend le soin de nous présenter en introduction Indiana Jones en pleine jungle à la recherche d’un trésor archéologique caché. Ainsi, une fois de retour à son poste d’enseignant d’archéologie à l’Université, il reçoit à nouveau l’appel de l’aventure sous la forme de deux messagers du gouvernement américain, et c’est sans hésitation aucune qu’en aventurier déjà aguerri, il accepte cette nouvelle et périlleuse mission : partir à la découverte de l’Arche.

Mais dans la majorité des cas, l’individu est plutôt réfractaire au changement. C’est la teneur de la mission qu’il doit accomplir, la nature du rôle qu’il va avoir à jouer pour la mener à bien et les éventuelles récompenses qu’il pourra en tirer (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent finir par le décider. Une chose est sûre : les motivations doivent être grandes pour accepter un tel changement. Certains personnages ou événements vont à ce stade jouer un rôle prépondérant pour décider le héros à franchir ce seuil.

Cette première étape essentielle est qualifiée par Joseph Campbell d’étape de séparation. Le héros va être aidé dans sa décision par la rencontre avec son Mentor. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de la séparation, sont :

  • le héros doit vaincre ses réticences
  • le héros a besoin de stimuli pour se décider
  • quand le héros s’engage, des alliés apparaissent
  • le héros prépare un plan pour passer à l’action
  • le héros a besoin d’entraînement avant d’affronter ses adversaires

Découvrir un nouveau monde et y mesurer sa valeur

Dans un premier temps, le héros va faire connaissance avec ce nouvel univers en apprenant à reconnaître ses alliés de ses ennemis. Pour cela, il aura à franchir un certain nombre de tests ou d’épreuves qui vont lui permettre de mesurer sa valeur par rapport aux adversités. Sa quête passe tout d’abord par une bonne connaissance de son environnement et l’apprentissage rigoureux des qualités nécessaires à affronter les épreuves. L’aventure est en marche, nous sommes dans un processus de progression permanente dont la motivation première est l’accomplissement de la quête.

Dans ce nouvel univers de référence, les règles sont différentes. Il ne s’agit donc pas de s’étalonner par rapport aux compétences précédemment acquises, mais de s’aligner via le parcours initiatique sur les qualités nouvelles que les règles du monde extraordinaire vont imposer. Indiana Jones est un professeur d’archéologie réputé dans son Université pour son savoir académique et ses qualités d’enseignement. Une fois dans l’aventure, ses rapports à l’archéologie ne sont plus du tout les mêmes, et il lui faut à tout prix s’adapter à ces nouvelles règles (celles de la ruse, de la corruption et du combat) pour tromper ses ennemis et conquérir l’objet de sa quête.

Cette seconde étape, qui est le cœur de l’aventure et du combat dans le monde extraordinaire, Joseph Campbell la qualifie d’initiation. C’est la période des défis et de la lutte pour la survie, au nom de la quête. Cette étape va amener le héros à défier ses adversaires dans un combat où seul le vainqueur pourra poursuivre sa route avec l’élixir. Durant cette étape, le héros va s’affirmer en tant que leader, mais il devra subir et assumer, au long de sa progression, la perte d’un certain nombre de ses appuis les plus précieux. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de l’initiation sont :

  • le héros prend conscience de sa mission
  • le héros accepte sa place dans l’univers
  • le héros atteint sa maturité
  • le héros prend conscience de sa force, de son pouvoir, de son influence
  • le héros devient proactif
  • le héros a démontré ses capacités d’adaptation

Préparer son retour pour délivrer son message

Tout au long de sa quête dans le monde extraordinaire, le héros va côtoyer les dieux. Mais la justification même de sa mission, l’accomplissement de sa quête, la récompense de l’attente de ses proches restés dans le monde ordinaire, passent par le chemin du retour. Certes, comme le montre Joseph Campbell, la tentation pour le héros, après avoir triomphé des forces adverses, de demeurer dans le monde extraordinaire où il a désormais assis sa domination est forte. Aussi va-t-il souvent envisager le refus du retour. Plus encore, comme le démontre James Bonnet dans son ouvrage « Stealing from the Gods », c’est à ce stade crucial que le héros peut corrompre sa quête, profiter de sa puissance et devenir un anti-héros. Nombreux exemples de libérateurs devenus dictateurs ou de policiers devenus truands viennent étayer sa thèse.

Dans « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », jamais Indiana Jones ne renonce à sa quête. Cependant, il est comme envoûté par le pouvoir conféré à l’Arche, qui est supposé se transmettre à son possesseur, au point qu’il refuse de libérer sa compagne d’aventure de peur qu’elle n’éveille les soupçons de ses adversaires, au risque de la sacrifier. A ce stade de l’histoire, le spectateur peut raisonnablement penser que les  motivations réelles d’Indiana Jones ne sont plus de rapporter l’Arche (qu’il vient de découvrir), mais bel et bien de souhaiter la conserver au seul service de sa puissance personnelle.

Le chemin du retour va obliger le héros à franchir un nouveau seuil, ou plus précisément à refranchir de façon irréversible le seuil qui sépare le monde extraordinaire du monde ordinaire. Joseph Campbell qualifie cette étape de transformation. C’est à ce stade que le héros va réellement s’accomplir, et par son témoignage une fois de retour parmi les siens, accomplir sa mission. Cette transformation est celle qui mène à la sagesse, celle que les Grecs nommaient la catharsis, c’est-à-dire littéralement la purification.  Indiana Jones, lors du chemin de retour avec l’Arche, choisit lors d’une ultime confrontation avec ses adversaires, de sauver sa compagne au risque d’abandonner définitivement l’Arche, prouvant ainsi au spectateur à quel point son aventure a fini par révéler en lui ce qui avait le plus de valeur à ses yeux. Heureusement pour lui, et pour la suite de ses aventures, son abnégation sera récompensée par la clémence des dieux qui vont punir par l’anéantissement la cupidité de ses adversaires.

Une fois son retour accompli, le héros devient ainsi maître de deux mondes et sa sagesse va lui permettre d’atteindre un statut particulier dont le témoignage aura valeur d’universalité. La récompense finale pour le héros n’est sans doute pas l’objet de sa quête (l’élixir sert souvent à quelqu’un d’autre que lui pour défendre une cause qui le dépasse), mais bien la reconnaissance de ses pairs pour avoir mené à bien sa mission. Ainsi en va de tous les mythes qui sont parvenus à travers les siècles jusqu’à nous. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de la transformation sont :

  • le voyage du héros prend une valeur symbolique
  • la mission accomplie par le héros lui permet de partager une vision
  • le héros connaît désormais ses valeurs et ses adversaires
Le processus de quête
D’après « The Writer’s Journey » par Christopher Vogler.

A suivre…