Culture & innovation

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analyse des processus d’innovation dans les mondes de l’art

Le processus de quête (part 4)

Une métaphore du management de projet innovant

On a découvert depuis quelques années les vertus des techniques narratives dans la pratique du management. L’utilisation d’une structure narrative dans le pilotage d’un projet va en effet permettre de travailler sur les éléments suivants :

  • une histoire va sensibiliser les acteurs du projet
  • une histoire permet de fédérer une vision
  • une histoire permet de visionner la quête initiatique et vaincre la peur de l’inconnu
  • une histoire permet aux acteurs de jouer leur rôle à l’intérieur du cycle
  • l’aventure permet de créer son futur plutôt que le subir

Ce cycle de l’innovation et de l’apprentissage a été décrit avec précision par Peter Senge dans ses travaux sur le leader et l’organisation apprenante. Il est intéressant de confronter le cycle d’apprentissage à l’intérieur d’un système, avec les étapes du voyage du héros. Dans les deux cas, le leader va devoir gérer deux mondes distincts, celui du système courant et celui de la nouveauté. Le franchissement des différents seuils va s’effectuer dans une analogie troublante par rapport au processus de quête décrit précédemment, suivant les trois étapes clés qui sont Création – Développement – Maturité.

Tout projet naît dans un environnement habituel, celui du système.  L’étape de création va permettre au(x) porteur(s) du projet d’accroître sa perception en matière de ressources à mobiliser, de chemin à accomplir, de personnes à convaincre et de valeur stratégique du projet au sein du système. Une fois ces éléments maîtrisés, la décision de lancer la construction d’un pilote va entraîner le porteur du projet et son groupe d’alliés dans le monde extraordinaire de l’innovation. Il devient alors important pour le manager du projet de piloter en anticipant les seuils à franchir dans un contexte où les règles et les éléments de mesure doivent être redéfinis. Durant la phase de création, les seuils essentiels à franchir sont :

  • le manque de disponibilité : disposer d’une flexibilité du système au service du projet
  • le manque de soutien : animer le projet en permanence
  • le manque de motivation : fixer des objectifs clairs et les communiquer
  • le manque de cohérence : s’assurer la sincérité des appuis et des comportements

L’étape de développement du projet va se dérouler dans un contexte particulier, décalé par rapport au système, où les éléments de moyens, de temps et de mesure sont entièrement nouveaux. Durant cette étape va se jouer la faisabilité du projet. Le manager du projet joue donc sa survie et celle de son équipe dans un combat contre la montre et contre ses détracteurs. Les derniers arbitrages vont conditionner le chemin de retour de l’équipe projet au sein du système. Durant l’étape de développement, l’interaction du groupe pilote avec le reste de l’organisation s’intensifie peu à peu. Au gré de ces contacts vont se révéler les adversaires et les premières résistances au changement. Les principaux seuils à franchir sont :

  • vaincre la peur de la remise en cause
  • créer de nouvelles méthodes de mesure
  • convaincre les leaders d’opinion

L’étape de développement est bien évidemment une étape critique, car le délai nécessaire pour mesurer les effets d’une action innovante est mal maîtrisé par le groupe pilote, et encore moins par le système. Le groupe a du vivre un certain temps en autarcie, et il existe une dérive sectaire au moment de convaincre les opérationnels sur leur terrain. Lorsque ces étapes sont franchies et les derniers arbitrages effectués en faveur de la mise en exploitation du projet, alors peut commencer la phase de maturité, en un mot le retour du groupe pilote au sein du système. L’enjeu de l’étape de maturation est d’assurer la pérennité du projet au sein du système, tout en préparant le terrain pour de futures innovations. En ce sens, la qualité du témoignage du manager du projet va aider le système à parfaire son processus de gestation et de d’intégration de l’innovation. Durant cette étape du retour, les seuils les plus importants à franchir pour le manager du projet sont :

  • manager deux mondes : le groupe pilote et le reste de l’organisation
  • diffuser les résultats : affronter le scepticisme et obtenir la reconnaissance pour les pilotes
  • recadrer les objectifs : au niveau individuel et au niveau collectif
Le cycle du projet innovant
D’après «La Cinquième Discipline» de Peter Senge

A suivre…

Le processus de quête (part 3)

Reculer pour mieux sauter

Il n’est pas étonnant que la première réaction décrite après la réception de l’ « Appel de l’aventure » soit celle du refus du changement. Effectuer un saut dans l’inconnu n’a jamais été une sinécure, seuls les héros aguerris (ceux qui en sont à leur énième épopée) sont de ceux qui franchissent sans réticences le seuil du monde extraordinaire. Dans le premier opus des aventures d’Indiana Jones, « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », l’auteur prend le soin de nous présenter en introduction Indiana Jones en pleine jungle à la recherche d’un trésor archéologique caché. Ainsi, une fois de retour à son poste d’enseignant d’archéologie à l’Université, il reçoit à nouveau l’appel de l’aventure sous la forme de deux messagers du gouvernement américain, et c’est sans hésitation aucune qu’en aventurier déjà aguerri, il accepte cette nouvelle et périlleuse mission : partir à la découverte de l’Arche.

Mais dans la majorité des cas, l’individu est plutôt réfractaire au changement. C’est la teneur de la mission qu’il doit accomplir, la nature du rôle qu’il va avoir à jouer pour la mener à bien et les éventuelles récompenses qu’il pourra en tirer (de quelque ordre que ce soit) qui peuvent finir par le décider. Une chose est sûre : les motivations doivent être grandes pour accepter un tel changement. Certains personnages ou événements vont à ce stade jouer un rôle prépondérant pour décider le héros à franchir ce seuil.

Cette première étape essentielle est qualifiée par Joseph Campbell d’étape de séparation. Le héros va être aidé dans sa décision par la rencontre avec son Mentor. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de la séparation, sont :

  • le héros doit vaincre ses réticences
  • le héros a besoin de stimuli pour se décider
  • quand le héros s’engage, des alliés apparaissent
  • le héros prépare un plan pour passer à l’action
  • le héros a besoin d’entraînement avant d’affronter ses adversaires

Découvrir un nouveau monde et y mesurer sa valeur

Dans un premier temps, le héros va faire connaissance avec ce nouvel univers en apprenant à reconnaître ses alliés de ses ennemis. Pour cela, il aura à franchir un certain nombre de tests ou d’épreuves qui vont lui permettre de mesurer sa valeur par rapport aux adversités. Sa quête passe tout d’abord par une bonne connaissance de son environnement et l’apprentissage rigoureux des qualités nécessaires à affronter les épreuves. L’aventure est en marche, nous sommes dans un processus de progression permanente dont la motivation première est l’accomplissement de la quête.

Dans ce nouvel univers de référence, les règles sont différentes. Il ne s’agit donc pas de s’étalonner par rapport aux compétences précédemment acquises, mais de s’aligner via le parcours initiatique sur les qualités nouvelles que les règles du monde extraordinaire vont imposer. Indiana Jones est un professeur d’archéologie réputé dans son Université pour son savoir académique et ses qualités d’enseignement. Une fois dans l’aventure, ses rapports à l’archéologie ne sont plus du tout les mêmes, et il lui faut à tout prix s’adapter à ces nouvelles règles (celles de la ruse, de la corruption et du combat) pour tromper ses ennemis et conquérir l’objet de sa quête.

Cette seconde étape, qui est le cœur de l’aventure et du combat dans le monde extraordinaire, Joseph Campbell la qualifie d’initiation. C’est la période des défis et de la lutte pour la survie, au nom de la quête. Cette étape va amener le héros à défier ses adversaires dans un combat où seul le vainqueur pourra poursuivre sa route avec l’élixir. Durant cette étape, le héros va s’affirmer en tant que leader, mais il devra subir et assumer, au long de sa progression, la perte d’un certain nombre de ses appuis les plus précieux. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de l’initiation sont :

  • le héros prend conscience de sa mission
  • le héros accepte sa place dans l’univers
  • le héros atteint sa maturité
  • le héros prend conscience de sa force, de son pouvoir, de son influence
  • le héros devient proactif
  • le héros a démontré ses capacités d’adaptation

Préparer son retour pour délivrer son message

Tout au long de sa quête dans le monde extraordinaire, le héros va côtoyer les dieux. Mais la justification même de sa mission, l’accomplissement de sa quête, la récompense de l’attente de ses proches restés dans le monde ordinaire, passent par le chemin du retour. Certes, comme le montre Joseph Campbell, la tentation pour le héros, après avoir triomphé des forces adverses, de demeurer dans le monde extraordinaire où il a désormais assis sa domination est forte. Aussi va-t-il souvent envisager le refus du retour. Plus encore, comme le démontre James Bonnet dans son ouvrage « Stealing from the Gods », c’est à ce stade crucial que le héros peut corrompre sa quête, profiter de sa puissance et devenir un anti-héros. Nombreux exemples de libérateurs devenus dictateurs ou de policiers devenus truands viennent étayer sa thèse.

Dans « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », jamais Indiana Jones ne renonce à sa quête. Cependant, il est comme envoûté par le pouvoir conféré à l’Arche, qui est supposé se transmettre à son possesseur, au point qu’il refuse de libérer sa compagne d’aventure de peur qu’elle n’éveille les soupçons de ses adversaires, au risque de la sacrifier. A ce stade de l’histoire, le spectateur peut raisonnablement penser que les  motivations réelles d’Indiana Jones ne sont plus de rapporter l’Arche (qu’il vient de découvrir), mais bel et bien de souhaiter la conserver au seul service de sa puissance personnelle.

Le chemin du retour va obliger le héros à franchir un nouveau seuil, ou plus précisément à refranchir de façon irréversible le seuil qui sépare le monde extraordinaire du monde ordinaire. Joseph Campbell qualifie cette étape de transformation. C’est à ce stade que le héros va réellement s’accomplir, et par son témoignage une fois de retour parmi les siens, accomplir sa mission. Cette transformation est celle qui mène à la sagesse, celle que les Grecs nommaient la catharsis, c’est-à-dire littéralement la purification.  Indiana Jones, lors du chemin de retour avec l’Arche, choisit lors d’une ultime confrontation avec ses adversaires, de sauver sa compagne au risque d’abandonner définitivement l’Arche, prouvant ainsi au spectateur à quel point son aventure a fini par révéler en lui ce qui avait le plus de valeur à ses yeux. Heureusement pour lui, et pour la suite de ses aventures, son abnégation sera récompensée par la clémence des dieux qui vont punir par l’anéantissement la cupidité de ses adversaires.

Une fois son retour accompli, le héros devient ainsi maître de deux mondes et sa sagesse va lui permettre d’atteindre un statut particulier dont le témoignage aura valeur d’universalité. La récompense finale pour le héros n’est sans doute pas l’objet de sa quête (l’élixir sert souvent à quelqu’un d’autre que lui pour défendre une cause qui le dépasse), mais bien la reconnaissance de ses pairs pour avoir mené à bien sa mission. Ainsi en va de tous les mythes qui sont parvenus à travers les siècles jusqu’à nous. Les éléments caractéristiques de cette étape, qui affectent directement le héros dans sa gestion de la transformation sont :

  • le voyage du héros prend une valeur symbolique
  • la mission accomplie par le héros lui permet de partager une vision
  • le héros connaît désormais ses valeurs et ses adversaires
Le processus de quête
D’après « The Writer’s Journey » par Christopher Vogler.

A suivre…

Le processus de quête (part 2)

Les étapes du voyage

L’étude des mythes et des épopées héroïques, notamment tels qu’ils nous sont parvenus depuis l’Antiquité, a amené Joseph Campbell à découper le voyage du héros en différentes étapes essentielles.

Ces étapes sont essentielles car ce sont elles qui :

  • rendent compte de la progression du héros, comme autant de points de passage
  • permettent de situer temporairement le cadre du récit
  • déterminent l’entrée en scène de personnages importants dans l’accomplissement de la quête.

La dénomination des différentes étapes a déjà fait l’objet d’une adaptation sous forme d’aide à l’écriture par le scénariste américain Christian Vogler, dans son ouvrage « The Writer’s journey » (Voir fig.1). Le scénariste utilise alors ces étapes comme autant de guides structurels à l’établissement de son récit, romanesque ou cinématographique. La réputation à Hollywood issue des travaux sur les mythes initiés par Joseph Campbell a connu un très fort effet d’accélérateur après les témoignages de réalisateurs influents tels Steven Spielberg (« Les Aventuriers de l’Arche Perdue ») ou encore George Lucas (« Star Wars »), réalisateurs qui tous deux reconnurent avoir utilisé ces référents comme guide à l’écriture et la définition des personnages de leurs sagas respectives (et… multimillionnaires).

Nous ne détaillerons pas ici les fondements des différentes étapes : les ouvrages cités en référence se chargent d’une analyse précise et illustrée d’exemples dans le monde de la littérature ou du cinéma. Il nous a semblé par contre important d’en souligner les impacts majeurs, tant sur la personne du héros que sur le déroulement de sa quête :

  • Reculer pour mieux sauter
  • Découvrir un nouveau monde
  • Mesurer sa valeur dans ce nouvel univers
  • Préparer son retour
  • Délivrer message et expérience

Nous allons donc nous attacher à décrire pour chacune de ces étapes les phases essentielles, en respectant les travaux de Joseph Campbell, tout en ménageant des accès vers le monde du management, où les travaux de Peter Senge nous serviront de base pour établir un pont métaphorique entre le voyage du héros et le management de projet innovant.

Le voyage du héros, d’après « The Hero With A Thousand Faces » de Joseph Campbell

A suivre…

Le processus de quête (part 1)

L’épopée héroïque métaphore du management de projet innovant

Le voyage du héros

Chaque projet est un voyage. Les nouvelles technologies contribuant à considérablement minimiser les notions de distance, on peut parler d’un voyage intergalactique, ou mieux encore, d’un voyage imaginaire, virtuel… L’épopée, c’est le voyage du héros à travers sa quête. Ce voyage suit un cycle, que nous appellerons le processus de quête. L’idée qui sous-tend toute la narration épique, c’est la bascule entre deux mondes : le monde ordinaire et le monde extraordinaire. Au fil de son voyage, au gré des événements, des rencontres et des épreuves qui vont se présenter à lui, le héros va accomplir un cycle dont le point de départ et le point de retour sont le monde ordinaire.

Manager un projet innovant relève souvent du voyage dans l’inconnu. Un héros, ou plus à proprement parler, une équipe héroïque, va se lancer dans l’aventure suivant un processus de management (de quête) assez similaire au voyage du héros. On va en effet y retrouver la conquête d’un nouvel univers, la gestion des événements extérieurs, les rencontres, les épreuves à franchir… A partir de ce constat nous est venue l’envie d’approfondir cette métaphore, en proposant une grille de lecture du management de projet innovant à travers le processus de quête.

La structure du récit épique

L’épopée est le récit d’une rupture, d’une discontinuité. Soudain, l’existence du héros va basculer, les événements l’entraîner sur le chemin d’une quête qui engendrera des bouleversements dans sa vie, son environnement, ses attitudes, ses valeurs même. Les récits épiques sont de tradition ancienne, et sont la résultante de la description de l’interaction des hommes (et des dieux) avec leur environnement. Si la nature de l’échange entre individus est ponctuelle et matérialisée (a minima par un « dialogue »), la description de son environnement est volatil, multidimensionnel et « virtuel », c’est-à-dire qu’il fait appel à l’imagination de l’auditoire pour prendre corps. C’est de ce rapport entre le « réel » et le « virtuel » que naît la structure du récit. Ainsi le linguiste Jean-Paul Desgouttes décrit le récit comme « le paradoxe de la coexistence virtuelle du multiple spatial et de la linéarité irréversible du changement inhérent au sujet ».

Dans un récit, il n’y a pas d’histoire qui n’implique de profonds bouleversements. Les spécialistes de l’analyse de la narration tels Vladimir Propp (« Morphologie du conte ») ou Joseph Campbell (« The Masks of Gods») ont décrit ces changements comme le passage d’un seuil entraînant le héros de son monde ordinaire vers un univers extraordinaire, où les règles, les rapports entre individus et les facteurs de succès sont à reconsidérer totalement. Le héros, dans le récit mythologique, est l’élément central du récit, celui qui doit mener à bien une mission, divine ou personnelle. Il est pour cela aidé par des Alliés, déjà introduits dans ce monde nouveau et partageant toute ou partie de sa quête. Il va également être guidé par un Mentor, qui généralement a lui aussi vécu par le passé une aventure similaire, en quelque sorte un ancien héros devenu sage qui se met au service de nouveaux élus, tel Merlin au service du jeune Roi Arthur.

Le processus de quête

Le voyage du héros va se dérouler selon un cycle à la fin duquel l’élu vivra l’accomplissement de sa quête, qu’elle soit spirituelle, matérielle, sentimentale ou corporelle. Ce cycle est fait de franchissements d’étapes peuplées de rencontres et d’expériences qui vont amener le héros à s’enrichir psychologiquement, mais également à affronter les plus grands dangers, allant jusqu’à risquer sa vie dans son combat contre les « Forces Opposées ». Ce cycle a été décrit pour la première fois par Joseph Campbell (« The Hero With a Thousand Faces »), puis repris sous forme de guide de narration par Christopher Vogler (« The Writer’s Journey ») à l’usage des écrivains de fictions romanesques écrites ou audiovisuelles. Il n’est pas question ici bien entendu de détailler les éléments du cycle liés aux techniques d’écriture des scénaristes, mais plutôt d’utiliser le décryptage du récit d’aventure pour montrer sa pertinence dans le management de projet innovant.

La quête démarre véritablement lors du franchissement du premier seuil, celui qui va entraîner le héros de son univers quotidien vers un nouvel univers, un monde extraordinaire. Avant cela, il aura connu les signes avant coureurs de l’appel au voyage, par l’intermédiaire de messagers. Après une période de doute, le franchissement du premier seuil est un acte essentiel dans la vie du héros, un mouvement irréversible qui va le soumettre à l’épreuve de l’apprentissage de nouveaux codes et de nouvelles pratiques. Le héros perd ses repères et appuis habituels, restés dans le monde ordinaire, au profit de nouveaux repères, à identifier puis à conquérir, séduire et fidéliser. La mission du héros passe inévitablement par la domestication du monde extraordinaire. Il doit apprendre à comprendre ses règles, identifier ses leaders et appréhender les nouveaux dangers qu’il devra affronter pour conquérir l’objet de sa quête (que cet objet soit réel ou symbolique).

La progression du héros dans le monde extraordinaire va être peuplée de rencontres. Certains protagonistes vont le guider, l’entraîner (les mentors), d’autres vont le perturber ou entraver sa progression (les gardiens du seuil), d’autres enfin (les adversaires) vont le défier dans le cadre d’une lutte, souvent à mort. Le héros n’est pas un Dieu. Le héros est un personnage ordinaire, vivant une vie souvent ordinaire. Il n’est parfois pas particulièrement prédestiné à un comportement courageux ou « héroïque ». Ce sont les événements et les aléas des rencontres qui vont l’entraîner, à travers sa quête, à accomplir le « voyage du héros ». Lorsque l’on demandait à Joseph Campbell comment reconnaître un héros d’un mentor, par exemple, celui-ci avait l’habitude de répondre qu’il suffisait d’identifier le personnage qui apprenait le plus. Car le voyage du héros est aussi un long apprentissage, un voyage initiatique, dont le témoignage futur deviendra l’une des meilleures preuves de son accomplissement.

A suivre…

Art vs management : un conflit qui s’apaise

Un terrain conflictuel

Il peut sembler délicat d’évoquer le « management culturel », tant la contradiction majeure qui semble opposer les deux termes que sont le management et la culture semble profonde. Le management rappelle un ensemble de règles, il est relativement standardisé et implique un certain cadrage, une discipline. Enfin il a recourt à des outils précis de mesure ou d’évaluation. En revanche, la Culture renvoie à l’idée de création culturelle, une création qui se fait dans une totale liberté, affranchie de toute règle.

Ainsi, comme l’a rappelé Eve Chiapello dans son livre « Artistes versus managers – le management culturel face à la critique artiste », il existe un grand nombre de divergences d’opinion entre le management d’une part, et l’art d’autre part.

Constatées ces divergences, on peut facilement imaginer le genre de conflits qui opposent régulièrement les artistes aux managers. En effet les artistes ont souvent du mal à admettre une quelconque considération marchande dans ce qui touche au domaine culturel. Nombreux sont ceux qui refusent catégoriquement l’intrusion de l’idée de commerce ou de mercantilisme dans leur art, et ce surtout lorsque cela implique une atteinte au contenu de l’œuvre (ex : quand l’artiste doit se plier aux demandes de celui qui rémunère son travail, en modifiant ou adaptant son œuvre selon les desiderata de ce dernier et les exigences commerciales qu’il poursuit).

La critique n’est pas unilatérale, et les gestionnaires ont eux aussi des reproches à adresser aux artistes : « ils n’ont pas le sens des réalités, ils sont prétentieux et s’imaginent que leur statut d’artiste leur confère le droit de vivre au crochet de la société, … » sont des critiques souvent entendues du côté des managers de la culture.

Un apaisement réciproque

Cependant, cette critique artiste du management connaît une remise en cause avec les nouvelles politiques culturelles menées depuis les années 80. En effet on a vu apparaître au cours de ces dernières décennies un certain nombre de signes de rapprochement entre les deux logiques de l’art et du management : Dans la continuité de la politique culturelle menée par Malraux, le renouveau de l’élan culturel marqué par les « années Lang » (1981-1991) a permis une véritable reconnaissance de la dimension économique de la culture. Jack Lang a su en effet susciter un esprit d’entreprise dans la culture, tout en en rappelant la dimension économique. Au cours de ces années, le budget consacré a la culture s’est accru tellement vite que pour en gérer l’emploi, il a fallu substituer à l’Etat un réseau d’associations et d’établissements relais, créées sous l’impulsion de cette politique d’entrepreneuriat culturel. L’Etat a pris des mesures concrètes pour aider économiquement ces organisations culturelles. Ainsi par exemple la création en 1982 de l’AGEC (Association pour la Gestion des Entreprises Culturelles) leur permet de bénéficier d’un soutien efficace grâce à des missions de conseil portant sur divers domaines, allant de la fiscalité au droit du travail, en passant par l’informatique et le marketing. Cet organisme s’efforce de promouvoir le management dans les activités culturelles.

Une tendance à la réconciliation entre art et économie se dessine donc assez clairement depuis quelques temps. Elle se réalise essentiellement sous l’influence de l’Etat qui défend ardemment l’exception culturelle en menant une politique favorable à la culture, à son financement, à la création et au renouvellement de la production.

Dans le privé également, les logiques de l’art et du management se sont nettement rapprochées. Les exigences de rentabilité dont nous avons parlé précédemment et qui caractérisent aujourd’hui les industries culturelles ont adouci les relations entre « art » et « économie », en rendant ces deux sphères interdépendantes.

La place du management dans la culture est donc en train de se légitimer. Mais les managers ont dû s’adapter aux spécificités du secteur, faisant ainsi du management culturel une relative exception par rapport au management traditionnel.

Euroguitars

L’âge d’or de la guitare électrique européenne (1960 – 1980)

https://www.bookelis.com/musique/43481-Euroguitars.html

« Euroguitars », editions Bookelis / Storymag, 2020

Les années soixante. Le monde succombe au rock, l’Europe va se laisser séduire par les guitares électriques. Des fabricants d’instruments traditionnels, guitares acoustiques et même accordéons, vont se lancer dans l’aventure. De nouveaux luthiers vont également faire surface, autant intéressés par la facture instrumentale que par l’électronique et les nouvelles sonorités du rock. Pendant vingt ans, c’est l’âge d’or de la guitare électrique européenne.

Après deux années d’enquête à la rencontre de quelques uns des grands acteurs de l’époque, j’ai décidé de raconter en 2004 l’histoire d’Euroguitars, pays par pays, marque par marque, comme elle n’a encore jamais été racontée. A l’appui, de nombreuses archives originales, et une préface de Tony Zemaitis, le luthier des stars. Cette édition est une mise à jour de 2020. Une contribution essentielle à mes recherches sur le rock des années 1960 – 70.

Le livre a fait l’objet d’un long article-interview dans la revue spécialisée Guitar Part

Magazine Guitar Part, Mars 2021

Les métiers du management culturel

On peut distinguer deux types de métiers dans les mondes de la culture :

– en support de la création : la production

– en aval de la création : l’édition, la distribution

Si l’on trouve des personnes issues de formations en management dans les deux catégories, c’est bien dans la seconde catégorie qu’ils sont le plus présents, et que leurs compétences sont le plus recherchées. A l’amont de la création se trouvent tous les artistes, et quelques managers qui font l’exception : ainsi par exemple les producteurs de spectacles ou de cinéma (qui participent au processus de création de l’œuvre) ne sont pas nécessairement experts en management, mais ils ont plus qu’intérêt à être de bons gestionnaires. A l’aval de la création en revanche il est difficile de se passer de compétences managériales.

Howard S. Becker a décrit l’organisation des industries culturelles dans son ouvrage « Les Mondes de l’Art »

Dans les métiers purement artistiques ou culturels, suivant le référentiel métier que j’ai établi, voici une liste non exhaustive de postes auxquels peuvent prétendre les personnes issues de formations managériales (ie non artistiques et non techniques) :

– directeurs d’établissements culturels (théâtres, auditoriums, opéras, cinémas)

– directeurs de chaînes de télévision ou de stations de radio

– responsables de programmation et de diffusion

– directeurs de production

– cadres de direction artistique

– directeurs de journaux

– conservateurs de musées, commissaires d’exposition

– responsables du mécénat culturel dans les institutions, les fondations ou les entreprises

Aujourd’hui on demande de plus en plus aux responsables d’entreprises culturelles, privées comme publiques, de rentabiliser leur activité. Les établissements culturels doivent drainer un public important, la commercialisation de produits dérivés d’œuvres culturelles doit rapporter de l’argent, un disque doit remporter un succès commercial, un programme à la télévision doit attirer une large audience, etc… . La notion de « devoir » est donc désormais communément admise, surtout quand elle est liée à l’exigence de résultat, sous la forme de retombées financières puisque oui, les budgets sont aujourd’hui au cœur du débat dans la grande majorité des établissements culturels. Pour atteindre ces objectifs, on nomme des managers à la tête de ces structures des gestionnaires ou administrateurs, aptes à gérer les budgets et développer des stratégies.

Pour des raisons déjà évoquées sur ce site, la notion de management dans la culture introduit l’idée de « business », de « retour sur investissement », autant de choses qui dans le secteur culturel sont loin d’être acceptées par tous. Les chiffres sur l’emploi dans le management culturel (notamment dans la myriade de micro structures privées, souvent associatives) sont très fluctuants, dans la mesure où la définition même de ce qu’est un manager culturel reste floue. Le baromètre se base donc sur l’expérience et les rencontres au sein de chaque secteur pour tirer des conclusions sur la situation de l’emploi, renforçant ainsi l’opinion largement répandue que les mondes de la culture sont avant tout une affaire de réseau.

Les particularités du management culturel

Une caractéristique majeure du domaine des arts et de la culture consiste en la discontinuité de l’activité : il s’agit en permanence de mettre sur le marché des prototypes, ce qui implique de travailler par projet (un spectacle, un film, …). Cette discontinuité du travail a des implications évidentes sur la gestion des ressources humaines, qui doivent être particulièrement flexibles. Outre le recourt continuel à des intermittents pour soutenir le travail d’un petit nombre d’employés permanents, elle suscite l’émergence de leaders aux compétences particulières, qui doivent souvent cumuler des fonctions artistiques et administratives à la tête de ces organisations à géométrie et effectif variables.

Une entreprise culturelle n’est finalement rien d’autre qu’une PME classique. Comme tout gérant de PME, un responsable d’entreprise culturelle doit gérer des employés (et les aléas dus aux augmentations ponctuelles du personnel), les salaires, les locaux, les aspects juridiques et sociaux auxquels toute société est confrontée, … . En cela les compétences et surtout la polyvalence d’un manager sont essentielles, les responsabilités en cause dépassant largement le cadre des fonctions de l’artiste.

Toutefois, si les compétences administratives sont nécessaires, n’oublions pas qu’elles sont différentes de celles que les managers exercent dans les autres secteurs d’activité. Le management culturel requiert bien souvent des compétences spécifiques.

Un grand nombre de filières culturelles s’efforce encore de conserver une mission bien particulière, qui se trouve être à la fois sociale et éducative. Ainsi, contrairement à l’ensemble des autres secteurs d’activités qui répondent avant tout à des exigences de profit, une partie du secteur culturel ne travaille pas selon une logique marché mais a conservé une logique produit : il ne s’agit pas de satisfaire le public en lui donnant ce qu’il attend (orientation marché), mais de sensibiliser ce dernier, l’intéresser en lui donnant accès à des œuvres produites, reproduites, ou conservées (orientation produit). On ne cherche pas à répondre aux attentes du marché, mais à susciter l’intérêt de ce dernier pour une œuvre artistique. Ainsi, s’il est d’usage de considérer que le travail de tout responsable marketing est centré sur les besoins des consommateurs (considérations « marché »), la démarche adoptée dans le secteur culturel va à l’encontre des enseignements traditionnels : les marqueteurs n’élaborent pas une offre pour répondre aux besoins ou aux désirs d’un segment de marché, mais ils cherchent à définir un segment de marché susceptible d’être intéressé par l’œuvre proposée, et essayent d’élargir ce segment par le biais de stratégies marketing diverses et variées.

Une certaine sensibilité artistique est indispensable pour réussir dans ce sens, surtout dans le secteur des beaux-arts, ou des « activités culturelles non industrielles ». Les compétences managériales ne suffisent pas. En effet dans ces métiers la mission sociale de l’entreprise artistique l’emporte, et le critère de satisfaction du marché entre moins en ligne de compte dans les processus de décision. Le manager se doit d’avoir une double étiquette (expert en management et expert en art), ou alors la direction doit être constituée de deux personnes ou deux blocs aux spécialités complémentaires (comme c’est souvent le cas, dans des entreprises culturelles où l’on distingue le bloc artistique et le bloc administratif).

Cependant il est vrai que la plupart des industries culturelles ont désormais des obligations de profits, de retour sur investissement. La satisfaction du public est aujourd’hui un des axes essentiels suivis dans l’élaboration de l’offre de produits culturels, et ce surtout dans les filières culturelles industrielles. Cela peut nous amener à penser que les seules compétences recherchées chez les managers dans ces domaines sont d’ordre administratives et gestionnaires, en plus bien sûr de l’efficacité marketing, chose essentielle pour rendre accessible les œuvres au plus grand nombre.

La diffusion des innovations dans le rock

Pendant les années 1960, il a été possible d’être « révolutionnaire » sur le plan de la moralité sans remettre en cause les fondements du système économique. Pour des raisons évidentes, certains secteurs de l’économie capitaliste furent des alliés naturels de la contre-culture lors de la confrontation avec la moralité bourgeoise traditionnelle.  L’idéologie bourgeoise va faire des concessions niveau moralité pour mieux se déployer sur le marché. Dans les faits, l’intégration de la culture underground va se faire par étapes, obligeant les artistes à renoncer en partie à ce qui avait été la base de leurs innovations.

Après la période d’intense créativité qui a secoué par spasmes le monde du rock entre 1965 et 1973, s’est dessinée petit à petit l’ère de la concentration. Le risque était alors que la globalisation réduise la somme totale de créativité dans le monde, que les traditions culturelles se fanent, tandis que les seules options créatives viables impliquent la copie, ou la reprise, sous une forme ou sous une autre. La toute-puissance des majors a été largement interprétée comme preuve de l’homogénéisation des goûts globaux et la marchandisation de la culture, afin de favoriser l’hégémonie anglo-saxonne. L’industrie du disque avait compris tout l’avantage que l’on pouvait tirer de l’adulation des foules pour un groupe. Elle va donc chercher, par des moyens mis à l’épreuve au temps des Beatles, à promouvoir l’image de marque de ses produits. Mais là aussi la sélection se fera toute seule : les bons musiciens arriveront à faire parler d’eux, et les moins bons seront oubliés.

Ruer pour échapper à l’industrie (Photo Sly Stone)

Finalement, l’intégration

Howard Becker affirme que si les œuvres d’art finissent par se conformer aux possibilités du système de distribution, c’est qu’en règle générale, celles qui ne s’y conforment pas ne sont pas diffusées, à supposer qu’elles soient seulement réalisées. Et comme la plupart des artistes veulent faire diffuser leurs œuvres, ils s’abstiennent de faire un travail incompatible avec le système. Mais si les artistes travaillent sans perdre de vue ces éléments, ils n’en sont pas pour autant prisonniers. Les systèmes évoluent et s’adaptent aux artistes, tout comme les artistes évoluent et s’adaptent aux systèmes. On peut souligner, par exemple, qu’après l’explosion du punk rock à la fin des années 1970, les producteurs de musique sont devenus très sensibles aux nouvelles tendances musicales des jeunes, à la culture des populations  immigrées des grandes villes européennes et américaines, et que ce mouvement, qui n’était pas réellement innovant sur le terrain musical, a fait souffler sur le monde du rock un vent de mélange racial et culturel sans égal dans un univers majoritairement occidental et blanc.

Lire : « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Editions Bookelis / Storymag, 2020

Une lecture de l’innovation dans la musique

Après l’avènement de la musique rock, les musiciens, dont certains instruments incorporaient les derniers perfectionnements de l’électronique, commencèrent à utiliser les techniques d’enregistrement à des fins de création musicale. Et comme ils avaient souvent appris à jouer de leurs instruments en essayant d’imiter des enregistrements, parfois très travaillés techniquement, ils voulurent tout naturellement introduire ces effets dans leur travail. Le nouveau matériel disponible en studio, notamment le magnétophone multipiste, permettait de faire des montages d’éléments enregistrés séparément et d’effectuer des manipulations électroniques sur les sons produits par les musiciens. Les rock stars, relativement réfractaires aux règles corporatives, commencèrent à réclamer un droit de regard sur l’enregistrement et le mixage de leurs musiques. Ce qui eut deux conséquences : d’une part, le mixage, dûment attribué à l’ingénieur du son sur les pochettes de disques, s’imposa peu à peu comme une activité artistique exigeant un talent particulier. De l’autre, des musiciens connus se mirent à effectuer eux-mêmes ce travail ou à recruter d’anciens musiciens pour le faire. Le mixage, autrefois simple spécialité technique, faisait désormais partie intégrante du mode de création artistique.

Pop Music : la musique de la génération électrique

Génération électrique

Selon Becker, comme ils relèvent à la fois de la création et de la réflexion, de l’innovation et de la routine répétitive, les choix décisifs sont des moments où l’artiste se trouve placé dans un dilemme singulier. Pour produire des œuvres d’art remarquables qui intéresseront le public, les artistes doivent désapprendre une partie des conventions qu’ils ont assimilées. Erigée en doctrine, la liquidation critique du passé et de toute forme de conservatisme met en avant le non-conformisme qui incline aisément vers l’anarchie, la révolte ou l’ironie. Des créateurs se rallient ensuite aux initiatives esthétiques des leaders au sein des groupes et tendances qui sont formés pour assurer la viabilité et l’exploitation systématique des innovations jugées les plus fécondes.

Lire : « Parfois ça dégénère », Marc Alvarado, Editions Bookelis / Storymag, 2020.

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